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Dans les failles de la phrase

 

                                                   Heure des sources dénudées
                                                   heure où l’on regarde les âmes – comme dans les yeux.
                                                   Marina Tsvétaïéva

 

Dans les failles de la phrase
Les yeux du silence s’infiltrent

 

Jusqu’au souffle des profondeurs
Où toute voix s’apprivoise

Peu à peu parée de ses échos ténus

 

Volupté de la dissonance
Ne te voici pas toute proche ?

Dans les failles de la phrase
Les yeux du silence secouent l’espace

 

Jusqu’au vertige de la mémoire
Où toute chose labile se dissout

Du murmure à la clameur
Du soupir à la vocalise
Du froissement au déploiement

 

Et du souffle et de la voix
Et des syllabes et de la page

A l’ombre palpable de notre peu

 

Les failles de la phrase
Ne rehaussent-elles pas parfois
Le sens volatile des mots

Dès que s’imprime notre feuille de chair ?

 

                         *

 

De nos syllabes imparfaites
Qui s’échappent de l’instant

 

Comment creuser la page
Y faire voltige flamboyante

De toutes feuilles palmées
Qui se détachent une à une
De l’immense voûte végétale

 

Frêles éventails dentelés
Qui chutent tourbillonnent

Déposent leurs éclats d’or
Au pied majestueux
            Du ginkgo biloba

 

De l’arbre aux mille écus

De nos voyelles subjuguées
Qui s’élancent de l’instant   

 

Que saisir si ce n’est vive
La mémoire du ciel
Entre deux feuilles d’or

Par delà les pulsations
De nos cils silencieux ?

 

           *

 

Ecrire avec des mots de ronde
Tout autour des mûres sauvages

Tracer le goût de l’encre vive
Si rouge si bleue si noire
Du bout de nos lèvres impatientes

 

A quand l’ébriété de la page
Où les voyelles déliées  
Dépliées déployées

A quand l’ébriété de la page
Où les syllabes reliées
Déviées dévoyées
        
Nous précipitent fébriles
Dans la béance du chaos

 

Où les mots de mûre
Se font ronde sauvage

Tout au bord de nos lèvres
Tout au bout de nos lignes

 

Quand se retrace le goût vif
De l’encre indélébile

Dans la béance du chaos
Tout au fond de l’instant

 

                                                                        *

 

Sous l’œil qui perce le ciel
De son éclat aveuglant

La poésie s’élance tremblante
Pour toucher l’horizon

 

Ecorchure muette
Lorsque l’encre jaillit
De la vague océane

Ondoyant de tous ses bleus
Jusqu’à l’évidence ultime

 

Quand l’œil du soleil
Se double de celui de la mort

La poésie se hausse vitale
Pour dépasser l’horizon

 

Avec l’ardeur stellaire
Des mots face à l’infini
Qui se laisse deviner

D’une seule vue
Entre deux yeux

 

       *

 

                Constellations vocales

                                                      Sur le front du peuple endormi, le poème
                                                     est  une constellation de sang. 
                                                                                                                             
                                                     Octavio Paz

                                                  
                                 à Serge Pey
                                 à sa performance Ligne rouge pour Henri Meschonnic  

                       En exil du silence
Le corps se dresse
Danse la transe
Des syllabes premières
Retentit de leurs éclats
Les plus percutants

 

Inspire expire
Éclat tumultueux
Du verbe qui fuse
De la terre au ciel
Et s’exalte
Pour hisser son souffle

Funambule de la verticalité
Déflagrante voix
Qui déclame le monde déchu
Pour le rehausser

 

Action contre les exactions
Quand frappe le pas
Quand fulmine le non

Le non absolu qui se décline

 

Pour perforer les scandales
Pourfendre les dignités bafouées

Rituel de la vocifération
Où le cri tango du corps
Où le cri cloue le corps
À l’instant de l’éclair

 

Fulgurante voix
Étincelle qui diffracte
Foudre qui poudroie
Pour que jaillisse en nous
Le rythme grandiose des origines 

Harmonie enfouie à exhumer
Du puits de l’intime

 

Tonitruante voix
Qui chemine sur des fruits rouges
À éclater
Comme des étoiles de sang

Des étoiles au goût de chute
À écraser
Sous la scansion des pas
Qui brûlent la terre

 

Et le feu de chaque pas
Se profère
Et le feu de chaque pas
Se propage

Récitation voluptueuse

 

Verbe incandescent
Qui explose
À la limite du cri
Et du silence
Son ombre clandestine

Où les constellations vocales
Se font murmure

 

Murmure des marges retrouvées

Où les lignes rouges se tracent
Horizontales pistes
À fouler des yeux

 

A l’heure où le poème
Peu à peu
A l’heure où le poème
Pas à pas
A l’heure où le poème prend corps

Vive spirale du vertige 
Qui sur la page
Désormais
Se donne à voir

 

Faisant frémir notre mémoire

En marge de toute voix

 

Là où le silence se scande si peu
Là où la danse des syllabes
Se fera transe des yeux

         A la lueur des étoiles renouvelées            
                                                
                             *
           "Poèmes extraits de L'Insoupçonnée ou presque , recueil à paraître en septembre 2013 aux éditions Voix d'encre."