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Dernière nuit en enfer, théâtre d’après Rimbaud

 

 

Lumière.

Un homme nu se dégage d’un long suaire de soie noire. Un homme ? Une embarcation de vers et de phrases ; nous sommes au théâtre. Le bateau ivre est léché par les vagues funèbres de l’hôpital de Marseille.

Tout ce textile répandu. Rimbaud en patient emporté par la gangrène et la fièvre. Tout ce texte épandu. Ivre ? oui, et triste d’avoir laissé ses affaires qui devaient faire de lui un bourgeois confortable et marié. Prêt — mais l’est-on ? — à affronter la camarde.

(Son de l’amputation, bruit de cloches et douze coups)
C’est aujourd’hui le grand départ. Nous y sommes.
Tout s’accomplit au bout du compte et les visions du passé deviennent les réalités du présent !
« Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin (…)
Une fois arrivé à Aden ; à l’hôpital Européen, il n’y a qu’une seule chambre pour les malades payants, je l’ai occupée (…) je ne me marierai plus avec cette jambe de bois (…) »

Le profond et subtil lecteur qu’est Daniel Millo a réussi à joindre, à harmoniser — musicalement — le voyant des poèmes et le prosaïque épistolier. Il fait un personnage de cette (apparente) contradiction littéraire.

Dans un ordre pas chronologique, nous reconnaissons parfois la Saison en enfer, la lettre du voyant, le désert, le commerce, les commandes de livres… mais le livret est bien plus qu’un spicilège, c’est une œuvre dramatique. Où l’on entend que le corps dolent jauge ce qu’il restait de romantisme dans l’inspiration juvénile comme dans l’élan gyrovague d’Arthur.

Au terme de ce saut dans la souffrance sans retour, dans l’Autre du je est un autre, dans le squelette amputé d’une jambe que le comédien toise ou étreint en fonction des ballottements de son agonie, à la fin des fins, la poésie revient, comme épurée, nettoyée. De quoi ? De tous les malentendus sur le vivant Rimbaud, du poids de trop de sublime appris et répété, de la bohème des écolâtres.

D’abord homme de théâtre, Daniel Millo est un homme de rencontres. Il a mis des années avant d’oser regarder en face ce poète dont la statu(r)e l’impressionnait.

Spectacle de maturité, le dispositif est d’une grande sobriété : des sons abrasifs passent l’esprit du mourant à la lime, les images projetées montrent des matériaux de construction apparaissant par les déchirures de leurs emballages plastiques. On pense à la peau se retirant sur l’os du monde réel. Cette peau, comme les dernières vagues d’un rêve de belle éternité.

Profond, humain, Rimbaud, si j’en juge par les réactions du public de cette première, en sort encore plus voyant, encore plus génial.