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Didier Guth & Sylvestre Clancier, Dans le noir & à travers les âges

 

Il faut lire la présentation de la collection avant de commencer la lecture du recueil : "Cette collection propose de rapprocher les rives de la peinture, du dessin, du collage, de la langue et de la poésie. […] Cela part de la plastique et cela produit du texte, du sens." Et la quatrième de couverture d'ajouter : "Dans Le noir & À travers les âges est issu de la rencontre entre l'artiste plasticien Didier Guth et le poète Sylvestre Clancier".  Ainsi donc Clancier écrit ses poèmes après avoir vu les œuvres de Didier Guth faites de larges formes colorées avec quelques mots tracés en noir. Mais ces mots, sont-ils de Guth ou de Clancier ? La question se pose car le lecteur retrouve ces mots, qui constellent les œuvres reproduites, dans le poème liminaire d'une suite intitulée Pour gagner l'autre rive. Ainsi une part du mystère de la rencontre entre les deux demeure, ce qui veut dire qu'une autre part en est élucidée…

    Cependant à lire attentivement ce poème liminaire, on s'aperçoit qu'un mot y figure qui est absent de l'œuvre de Guth : le mot Mais précède dans le poème de Clancier les mots La plage La page Sont l'avenir de l'homme. Ailleurs, c'est l'ordre de lecture qui est bousculé  : L'accouchée s'éveille de la mer en furie chez Guth devient chez le poète L'accouchée de la mer en furie / s'éveille. Dans l'hypothèse où l'auteur des mots est Guth, Sylvestre Clancier produit un beau centon. Et tant pis, si je me trompe ! De toute façon, la question se pose du sens du poème. Et Clancier, dès le poème suivant, interroge sa pratique pour conclure que l'œuvre est ouverte et secrète. Le secret de l'œuvre (poétique ou plastique) réside peut-être dans ces vers : "Le reflet virtuel / certitude rongée, gangue. // En-deçà de l'image / suggérée, il oblitère / le jour d'anonymat". Mais Sylvestre Clancier explore aussi la signification des couleurs sous forme d'équivalents langagiers des images de Didier Guth : "La glace primitive s'amasse / mauve et noire, verte et bleue" : on pense alors au célèbre sonnet de Rimbaud, Voyelles. Mais la quête de sens est aussi une lutte entre la mort et la vie, entre le noir et le blanc, une quête affirmée des origines, de l'homme, du groupe primitif, de l'écriture…

    La seconde suite, Le temps contre la raison, explore la question du sens de la parole poétique ; ce qui nous vaut plus de questions que de réponses. Mais la confiance demeure. Un poème résume admirablement la situation : "Nos vies ont-elles un sens / quand brûlées par l'incendie du temps / elles en viennent à douter / du prix de la raison / où les questions posées / trouvent leur solution ?" On remarquera que ce poème oppose justement l'existence (qui est relativement trompeuse) à la raison (alors que celle-ci est une manifestation de la vie) qui trouve la vérité, ou le laboureur au pasteur… L'existence est placée sous le signe de cette dualité. Mais la raison n'est pas donnée d'avance : "Le sphinx attend la réponse / L'homme ne comprend rien". Le poème ne rechigne pas à des considérations économiques ou écologiques : "La surconsommation / des énergies fossiles / des objets sans objet // des idées convenues / faute de pensée véritable…" Une réponse (provisoire ?) semble être apportée par ces vers : "la réponse est au commencement / il n'y a pas de fin sinon toi-même // Petit homme / tête perdue dans les étoiles". Sylvestre Clancier a une vision cosmique de l'humain ; je ne sais pas, pour reprendre ses termes, si le big bang a prévu un dessein pour l'homme, mais de cette confrontation de l'infiniment petit qu'est l'homme à l'uniformément grand qu'est l'univers, ressort l'obscur dans lequel nous demeurons. Mais Sylvestre Clancier semble se placer dans une tradition chrétienne : "Mais Adam et ses fils sont là / très tôt coupables de notre destinée" ou christique : "Ici bas / formule christique…". Cependant, il affirme l'irréductible liberté de l'homme : "Plusieurs possibles / se dessinent".  Leçon de confiance, mais aussi leçon de modestie car l'homme n'est pas le centre du monde. Il lui reste alors à faire fonctionner cette faculté que la nature -ou la complexité de son corps- lui a donné : la raison. On a alors, parfois, l'impression que Clancier ré-écrit, à sa façon, La Légende des siècles.

    L'Homme, le même ? interroge à la fin Sylvestre Clancier. J'ignore, et je ne veux pas savoir, si la règle du jeu édictée par l'éditeur a été respectée. Mais j'apprécie cette réflexion sur l'humaine condition…