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Donia Berriri : L’Inconnu Cardinal

 

C'est le long poème d'une quête, d'un ailleurs, d'un rêve, d'un couple - et du désenchantement qui en découle, que Donia Berriri nous propose de lire. Ces mots qui décrivent la volonté de partir de cette terre anonyme, où l'on est personne, et surtout rien - du moins le croit-on, après avoir fantasmé celle bercée par un autre air, parce qu'on ne respire pas, ici, qu'on est emprisonné, cloîtré, en soi, emmuré dans un asile de néant.

 

"Un fleuve d'illusions
S'est jeté dans l'océan immaculé
Où ondulent les camisoles"

 

Mais ailleurs, est-ce si bien ? Celui qui déjà a rejoint le mythe, vit-il dans l'idéal ? A-t-il touché du doigt le bonheur ? S'est-il trouvé, ou continue-t-il une route qui n'a pas de voie ?

 

"Du café amer
Au vin âpre et rugueux

Il erre"

 

Celle qui veut partir, rejoindre l'autre rive, s'accroche aux souvenirs, qui deviennent de fait des cannes sur lesquelles s'appuyer, en attendant mieux, comme de retrouver l'autre qui est soi.

 

"Elle parle de lui
D'une voix douce

Pour oublier
La nuit ferme"

 

Mais que perd-elle de son ici, en gagnant cet ailleurs ?

 

"De son banc
Elle contemple le songe

En blanc sur bleu
Vogue silencieusement
Dans la vaste galerie
Des ciels changeants"

 

Tous ces mots, à propos d'un lieu inconnu... quelle est la part de vérité ? On entend d'autres sons de cloches, quand on prête l'oreille.

 

"Il paraît que les nuages
Là-bas sont gorgés d'eau

Il paraît que les orages
Éclatent sans raison"

 

Mais a-t-elle bien le choix ? Être seule ici dans la désolation de la solitude, est-ce vraiment pire que d'aller vers cet ailleurs effrayant, mais où l'autre saura rassurer ? Parfois, il faut avancer, même avec la peur du mur en face de soi.

 

"J'avance
Et je ferme les yeux

Pour mieux voir l'horizon"

 

Aller de l'avant, pour aller vers lui, vers eux, vers elle. Même si cette impression, cette certitude de vide, sous les pieds, dans les yeux, sur le corps. Tant pis, tant mieux. Avoir l'arrogance de croire.

 

"Du haut de la falaise
Je nargue l'écume"

 

Enfin arrivée, elle devient l'expression du départ, le synonyme de la fuite, et l'interrogation permanente qui en découle : qui est-elle, celle qui a laissé son pays, sa culture, ses origines, sa famille ? Mais tout vit en elle, à chaque instant, isolée dans l'ensemble, îlienne au beau milieu d'un continent étrange.

 

"Suis un mystère d'outremer
J'habite une île sans frontière"

 

Tout semble tellement éloigné de son rêve. Brutalement différent. La fraîcheur du climat sur la froideur des gens.

 

"Elle a le coeur à marée basse
La ville perdue sous les pas

De ses intarissables hôtes
Qui marchent mais ne la voient pas"

 

Et celui qu'elle attendait, pour qui elle a entamé une telle aventure ? Est-ce encore un coeur qui bat ?

 

"Mon coeur est une tranchée
Où s'amoncellent les coeurs diaphanes"

 

Là aussi, le froid règne. La peau tremble autant que les certitudes qui la réchauffaient avant. Mais peut-être que la distance... peut-être que l'éloignement... sans doute n'est-ce là qu'une mauvaise passe, un instant dur à vivre... les retrouvailles de deux êtres à présent quasi étrangers, en un lieu inconnu... forcément, ça implique la nécessité de la patience... la croyance au bord des lèvres.

 

"Pourquoi craindre le soir si l'on croit au matin"

 

Non, l'autre est devenu un autre ! Ou plutôt, il est devenu comme les autres. Il ne vit plus sa terre d'origine. Il a les pieds dans le bitume d'une autre réalité, où le rêve lui-même n'est qu'un mythe, voire un mensonge.

 

"Ici on ne dort pas
On rêve éveillé

Et on s'empoisonne
Avec le sourire"

 

Ailleurs n'existe plus ; elle y vit. L'autre n'existe plus ; il est autre. La force des sentiments ne tue pas la faiblesse des êtres. Il faut l'accepter. Elle le doit, pas le choix.

 

"Je t'ai
Je t'aime

Je t'en prie
Je t'emprisonne"

 

Et sans doute, l'espère-t-on vivement, existe-t-il un long poème, une quête, un ailleurs, un rêve, un couple, nouveau, autre... dans un prochain livre de Donia Berriri, ou dans une de ses chansons.