1

Douceur du cerf

Marie Huot, bien que remarquée par le Prix Jean Follain et le Prix Max Jacob,  poursuit son œuvre dans la discrétion. Comme Jean Giono avait écrit Naissance de l’Odyssée,  c’est, d’une certaine manière un « retour à Ithaque », à la rencontre d’un grand-père marin mythifié qu’elle nous invite, mais le propos est double,  puisqu’en fait, de  poème en poème, c’est sur l’océan de l’imaginaire de Jean Giono qu’elle nous entraine.

En trente-deux escales,  c’est tout l’univers poétique de Jean Giono qui apparaît dans la brume, puisque on y croise Antonio et Clara du Chant du monde ( Si une tempête arrache quelques pages/ Antonio et Clara/ un instant boiront la tasse…  , Bobi de Que ma joie demeure ( La nuit on lui voit une foudre entre les épaules..) des cavaliers qui sont forcément ceux de l’orage et quelques autres personnages de Giono dont je laisse au lecteur le plaisir de les rencontrer, comme celui-ci :

 

J’ai oublié le nom du joueur de cartes
Il l’a fait glisser par-dessus bord
Il a une façon si magique
d’agiter ses mains
on croit que ses doigts plantent des graines dans le ciel .

 

Si ma mémoire est bonne, il arpentait Les grands chemins à la poursuite d’un horizon sans plafond…

Cet exercice de style,  car c’en est un, aurait pu être fait de redondances ou pire de commentaires, de manière besogneuse. C’est tout l’inverse. C’est plus à une œuvre de distillation que s’est attachée Marie Huot. Se servant de l’univers de Giono comme matière première, elle l’a fait passer aux trois étapes du grand œuvre alchimique,  le ramenant aux cendres de l’œuvre au noir pour le faire passer à l’incandescence de  l’œuvre au rouge.

Quant au cerf  dont Marie Huot fait l’éloge de sa douceur, c’est, bien sûr, celui qui court librement sur les plateaux de Que ma joie demeure et dont la seule présence charnelle au monde signe la joie d’être :

 

être est fragile
être tremble sous la peau des biches
être s’amenuise
mais sur être on peut construire une joie.

 

A moins que ce ne soit,  plus inconsciemment peut-être, celui de ce long poème de Jean Giono, Le cœur-cerf.

J’avais déjà eu l’occasion de dire le caractère enchanteur de l’écriture de Marie Huot, à l’occasion de la sortie de son précédent recueil Une histoire de bouche chez le même éditeur, Alain Gorius, dont il faut souligner l’exigence tant sur le fond que sur la forme de ses publications. Ce caractère enchanteur est renforcé par le travail de Diane de Bournazel qui a, comme on le fait au henné dans la main des femmes de l’autre côté de la Méditerranée, tatoué dans les lignes de vie de Marie Huot l’imaginaire de Giono.

Je ne sais, si, comme l’écrit Marie Huot son grand-père a emporté avec lui un peu de sa joie d’être, mais, avec la complicité de Diane de Bournazel et d’Alain Gorius, elle nous a rendu quelques graines de joie ; comme Jean Giono le fait dire au professeur d’espérance qu’est Bobi, «  ma joie ne demeurera que si elle est la joie de tous », aussi, permettez-moi de partager avec vous la joie que m’a procurée cette lecture .