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“En remontant l’histoire” du Journal des Poètes

Avec constance, dans chaque livraison, le Journal des Poètes offre à ses lecteurs un consistant dossier consacré aux poésies du monde : après deux volets sur la poésie féminine des Roms, puis sur la Moldavie, la Grèce, et un numéro consacré aux voix contemporaines israéliennes, dans un dossier dont nous parlons dans la revue des revues, c'est la poésie croate qui fait l'objet d'un double dossier dont la première partie inaugure l'année.

Ce premier numéro 2018 du JDP - dénomination par sigle équivalant pour moi aux diminutifs affectueux et autres appelations hypocoristiques qui témoignent de la familiarité avec un vieil ami toujours retrouvé avec plaisir - inaugure une nouvelle rubrique consacrée à son histoire. C'est vrai : on ignore bien souvent, quand on lit une publication, le cheminement de sa croissance – et le secret, ici, de sa longévité. En effet, la revue, belge, aujourd'hui animée par Yves Namur, Philippe Mathy et Jean-Marie Corbusier, est née le 4 avril 1931 – "entre deux guerres", sous un format "journal" de quatre pages à déplier (bien loin de la publication élégante sous son actuelle couverture crème au logo noir et rouge, ornée d'une oeuvre en frontispice. Le premier numéro affichait comme ambitieux slogan "Notre programme? Poésie" et le désir ainsi formulé de créer

un lieu de débat, sans autre consensualité de principe que ce service du fait poétique" et donc "d'accueillir toute la poésie sans exclusives, explorer, ne pas refuser le débat, mais tourner la page des avant-gardes et des guerres esthétiques."

Combien de mots il faudrait souligner tant ils nous "parlent" ! Combien ce projet - toujours vivant, presqu'un siècle plus tard, alors que, changé le millésime, l'Histoire se retourne, dans d'inquiétants soubresauts - nous rappelle à la vigilance la plus vive : la lucidité poétique. On n'acccepte pas de s'occuper d'une revue brandissant fièrement comme un étendard le titre de Recours au Poème sans être sensible à cette fraternité de pensée ! C'est ce même projet de résistance qui inspira, en mai 2013, la création de notre revue par Gwen Garnier-Duguy, dans une version exclusivement numérique – à laquelle nous tenons - choisie pour atteindre à moindre coût un maximum de lecteurs, et diffuser la poésie vivante de notre époque comme ultime recours contre la médiocrité, la dissolution des valeurs, la merchandisation globale et de l'humain aussi. La poésie, "les poésies, sans exclusives", dans l'union de la lutte contre la perdition de notre humanité : voilà le projet, la voie que nous suivons.

Oui, le vénérable Journal des Poètes est notre frère en poésie – et ce dès le premier numéro, dont nous sont proposés trois textes, selon un dispositif qui sera celui de cette rubrique d'anamnèse de la revue;

Le premier est un écrit critique de Pierre Bourgeois, intitulé "Plaidoyer pour la poésie impure". Philippique enflammée aux formules qui claquent, où je relève deux phrase à méditer. D'abord :

L'homme étant une combinaison plus ou moins variable de lucidité et d'inconscience, que la poésie accepte de s'affirmer simultanément sur le double plan de l'obscur ravissement et de la clarté mystérieuse

puis cette conclusion :

Ainsi la poésie est le système D appliqué à la pacification provisoire des choses éternelles.

un poète belge – ici Maurice Carême, et un poète étranger, Witold Wandurski pour ce premier numéro, complétent le dispositif. Le Belge autant que le Polonais présentaient dans ces pages des poèmes "engagés"- assez surprenant pour le premier dont les écoliers apprennent des vers où l'on ne rencontre pas ce "Dieu (qui) regarde couler / Le limon noir / des ouvriers."

Le second, "Poète-prolétaire", décrit une journée de meetings et de luttes, qui se clôt par ces deux vers magnifiques de réalisme ET de spiritualité :

L'orteil gelé brûle en ses souliers béants.
Mais l'espoir, ce filament chauffé à blanc, couve sous la cendre.

En ce mois de fleurs et de luttes, il me semblait évident de mettre en exergue de ce numéro de Recours au Poème le numéro mémoriel du  Journal des Poètes, en formant le voeu que l'union de toute notre volonté poétique maintienne vive la flamme de l'humain en nous, aiguise le regard sur les violences et les injustices, offre un horizon aux âmes désespérées.