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Encres vives n°492, Claire Légat : Poésie des limites et limites de la poésie

Encres vives, revue ou fascicule, livre ou recueil ? Peu importe, parce que ce que ce format A4 de facture simple et brute est un support poétique qui achemine le poème en le donnant à voir dans l'immédiateté de sa présence sur des pages elles-mêmes d'une facture éminemment poétique.

Chaque numéro est consacré à une ou un poète et reste fidèle à la ligne graphique qui est celle des recueils publiés par la maison d’édition du même nom, le tout orchestré par Michel Cosem. Ce numéro 492 offre ses pages à la poésie de Claire Légat. Une couverture sobre, monochrome, dont la couleur change selon les numéros, et une typographie patchwork, qui mélange plusieurs polices de caractère, et n’est pas sans évoquer les publications d’autrefois, où se juxtaposaient une pluralité de signes de diverses factures. Le titre lui est toujours écrit dans la police de caractères Mistral, et place le tout sous l’égide d’une  volonté affichée de se tenir proche de l’écriture manuscrite, du geste, de la respiration, de l’authenticité du poème, et du moment où la trace scripturale apparaît. Cette mise en forme tutélaire est accompagnée d'un florilège de polices, de tailles diverses, et est servi par un jeu avec l'espace scriptural qui est l’objet de toutes les audaces, de tous les moyens pour mettre en valeur l’écrit. La mise en page devient un acte signifiant, un support sémantique.

Encres vives, 12 numéros 34 €.

De ce numéro à couverture rouge dont l’agencement place juste là où ils doivent figurer les éléments qui annoncent le sommaire, je garde cette sensation de toucher l’essence d’une poésie qui de facto grâce à la scénographie éditoriale est placée dans le sillage direct des voix portées par ces pages depuis sa création, voix qui honorent le travail de Michel Cosem. Claire Légat ne gâte rien à cette qualité de la publication. « Poète sans âge, poésie des limites et limites de la poésie » chapeaute les titres qui annoncent le contenu : « Nous nous sommes trompés de monde, extraits », « D’outre moi-même, recueil en cours d’écriture », et « Murmuration du vide, inédit »… Un tour d’horizon de l’œuvre de la poète, qui nous offre des textes magnifiques. La mise en œuvre de Michel Cosem permet de créer un dialogisme, d’un texte à l’autre, d’un recueil à l’autre, et avec quelques articles, qui mènent le lecteur vers un discours sur et pour le poème, le langage dans le poème. Grâce là encore au jeu des textes sur l'espace scriptural, le silence donne épaisseur  aux blancs de la page et devient lui aussi un espace de réflexion. La dernière page propose une brève bio/bibliographie de Claire Légat, et des annonces, dont la création du mouvement « Poésie des limites et limites de la poésie », dont celle-ci assure la direction littéraire.

La quatrième de couverture est un espace offert à la mention d'extraits de correspondances ou d'articles consacrés à Claire légat, avec entre autre des propos de Géo Libbrecht, "Ici, rien de gratuit" dit-il à propos de de l'écriture de la poète dont Laurence Amaury nous rappelle le long retrait, mais également le retour, avec son poème Murmuration du vide, un inédit publié par Encres vives, autant dire un trésor...!

 

Je ne cherche pas à t'habiter : ton visage
                                  devient mon espace.
Je veux demeurer toute à l'univers qui me retient
et si étroit encore
que nos vies s'accordent mal au rite du sablier...
Eau minuscule bue à l'envers des miroirs :
l'ombre a cette douceur fauve.

Nous sommes la même plage visitée par la même mer :
l'attente nous unit, l'instant nous divise

 

Entre notre peau et les Encres vives du poème il ne reste plus que le regard, vous l’aurez compris, tant cette revue poétique est poème qui porte le poème. Sa matière brute et dense, atemporelle et de toutes les époques, tient comme une offrande des pages qui ne dorment jamais, tant est vivace et dynamique la danse des mots habillés de lettres follement différentes et libres d’aller où il faut qu’elle disent juste, qu'elles se taisent, qu'elles murmurent. Rien à ajouter, si ce n’est qu’il faut tenir Encres vives dans sa main.