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Épilogue de la tempête de Zbigniew Herbert

  « Tout poète est dans l’opposition car il refuse d’accepter la condition humaine » :
Zbigniew Herbert est un immense poète polonais du siècle dernier, de ceux qui viennent immédiatement aux lèvres des habitants de Varsovie si vous prononcez le mot poésie aux creux d’un bar. Il faut saluer le travail mené par les éditions Le bruit du temps afin de mieux faire connaître l’œuvre du poète dans le monde francophone. Ce que nous ne manquons d’ailleurs pas de faire dans les pages de Recours au Poème : on lira notre article sur Corde de lumière ici, par exemple.  Et l’on apprendra beaucoup sur la vie de Herbert en se promenant sur l’excellent site de son éditeur français : ici.

  Epilogue de la Tempête est le troisième tome des œuvres poétiques complètes d’Herbert édité par Le bruit du temps, après Corde de lumière et Monsieur Cogito (personnage tellement célèbre qu’il fait partie du quotidien des polonais), un Cogito que l’on retrouve d’ailleurs dans certains poèmes de ce troisième volume.
  Epilogue de la tempête, composé de trois recueils, couvre les années allant de 1990 à 1998, et s‘ouvre sur un long et passionnant entretien avec le poète datant de 2008. L’ensemble est d’autant plus extraordinaire que cela donne à lire des textes postsoviétiques, ou en tout cas publiés dans les années où le rideau de fer s’est écroulé. Au sujet des années du communisme, le poète à des incises fulgurantes : « Je découvrais l’absurde total ». Et il est vrai, qu’avec le recul, le regard porté sur les pays de l’ancien Bloc de l’Est tient pratiquement de la lecture d’une bande dessinée futuriste ou de science-fiction populaire. Et, évoquant le présent, Herbert peut écrire :

 

à présent je suis donc assis seul
sur le tronc d’un arbre abattu
au centre même
d’une bataille oubliée
 

 

et plus loin :
 

 

Le Nazaréen lui
est resté seul
sans alternative
sur un sentier
escarpé
sanglant
 

 

  La condition de l’homo sovieticus polonais ou autre est peut-être « moins » dramatique que celle du Christ. Il ne faut pas lire ici, cependant, une sorte de « poésie chrétienne » ou je ne sais trop quelle ineptie, cela serait trahir l’atelier d’Herbert, lequel dialogue en ce volume avec Dieu, lui adressant des « bréviaires » ironiques et caustiques, un peu comme l’on adressait autrefois des réclamations aux partis communistes des pays de l’est, au sujet du quotidien. D’autant plus que le poète est un chrétien critique, avec un goût prononcé pour la Connaissance ou la gnose. Comme il le dit lui-même au sujet du communisme et de la collaboration avec les appareils d’Etat, laquelle était tout de même un sport national : « J’ai échappé à la séduction ». Ce qui vaut ici, chez Herbert, pour le communisme vaut aussi pour son rapport au catholicisme. Essayer de vivre, avec les compromis obligatoires, mais sans être séduit. Ce n’est déjà pas si mal en terres totalitaires et/ou dogmatiques. Tout cela est sans doute secondaire d’ailleurs quand la poésie « est une aventure avec l’infini ». Nous serons entièrement en accord avec les mots du poète. Et aussi avec ceux-ci : « En travaillant obstinément au beau, nous créons du bien ». Ces mots pourraient valoir programme méta-poétique pour Recours au Poème.

  Ces trois recueils réunis, venant compléter l’ensemble de neuf recueils édités par Le bruit du temps en forme d’œuvres poétiques complètes, sont recueils de poèmes de cet homme/poète qui a perdu ou laisser échapper les illusions que tout être humain se construit pour tenter de vivre. Alors, des vers d’Epilogue de la tempête, titre qui en lui-même dit beaucoup, parlent ainsi :
 

 

elle sait que j’y viendrai
que je découvrirai tout seul
sans paroles incantations ni pleurs
la surface
rêche
et le fond
du verbe
 

 

  Il faut lire la poésie d’Herbert, une poésie qui dit sur ce que fut le 20e siècle bien sûr, mais qui évoque aussi bien des tourments de notre temps, de ce bruit qui tonne en notre temps.

    Lire des poèmes de Herbert sur Recours au Poème.