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Éric CHASSEFIÈRE, Échos du vent à ma fenêtre

Le éditions Alcyone ont publié là un très beau petit livre, que les proses poétiques d’Éric Chassefière méritent tout à fait. N’ayant pas toujours le temps de lire les livres qui, je l’avoue, on tendance à s’accumuler (notamment) sur mon bureau, rétrospectivement je me dis que s’il m’avait échappé, j’eusse perdu une belle occasion de me faire plaisir ! Les textes, sur un papier nacré, sont d’une beauté intime qui enchante le réel, non sans une authentique profondeur de pensée qui leste le contact qu’ils nous proposent avec leur monde. Éric Chassefière est un scientifique, un physicien, mais la “science dure” en lui n’a pas tari l’inspiration du poète, bien au contraire.

Éric CHASSEFIÈRE, Échos du vent à ma fenêtre,
Ed. Alcyone, coll. Surya. 70 p., 16 €.

Chaque petit carré de sa prose poétique est un bijou transparent, une sorte de cristal verbal en lequel se jouent les reflets d’un regard attentif, un regard qui, selon le mot de Paul Éluard, “donne à voir” (p.26) :

 

“Il aime les chemins du soir entre les gerbes noires des blés fauchés,
a coupe de lait de la pleine lune, la lanterne qui éclaire le volet clos
dans l’attente du retour. Il aime que dans la lumière, arbre de ciel dans
la nuit de l’arbre, terre et ciel se mêlent, que partout entre les arbres
ne soient que passages, seuils s’ouvrant sur la couleur, que le prenne
la pénombre quand à la nuit tombée le rai du canal monte jusqu’au ciel.”

 

La langue d’Éric Chassefière, on le voit, est d’une jolie, et simple, virtuosité. Les images sont neuves tout en ne heurtant pas l’esprit, tout en suggérant naturellement, avec une ampleur secrète. Comme si notre poète avait le souci d’épargner au lecteur qu’il prenne conscience de l’originalité de la vision dont il vient d’écrire, de manière à n’en pas dissiper le charme par l’effet d’une lucidité qui tarirait notre imagination, laquelle ici est indispensable à l’approfondissement de la réalité: une réalité qui n’est jamais banale, tant que notre regard appris, conventionnel, “désenfanté”, ne la banalise pas ni ne la prive de ses couleurs. Je ne puis me tenir de citer une autre d’entre les pages admirables de ce petit recueil (J’aimerais les citer toutes !), qui articule pour moi l’essentiel de ce qui est la source de cette poésie discrètement lyrique, d’un lyrisme juste dans la maturation de son expression, de sa vérité subjective ; ainsi que dans sa façon de l’objectiver en une langue créatrice, comme, au demeurant, il se doit pour tout lyrisme non-mièvre, c’est-à-dire qui ne tombe pas dans l’affectation d’un sentimentalisme avachi. Voici cette page (P.46) :

 

L’innocence est le sourire d’un enfant qui ne nous quitte pas. Ce sourire
se manifeste en tout : une chanson qu’il fredonne, un animal à qui il se
confie, l’histoire qu’on l’entend se raconter, seul, dans la pénombre de
sa chambre. Ce sourire, quand il se manifeste, nous illumine et nous
réchauffe; instantanément il entre en nous, nous transporte de joie, devient
notre sourire intérieur ; nous sommes directement heureux car il nous
touche, réveille en nous l’innocence. Même aujourd’hui que l’enfant a      
grandi, son sourire est toujours là, rouge lumière et sang. Même léger
et fugitif, il réveille en nous l’intacte joie, la même nostalgie heureuse ;
il est l’étincelle qui entretient le feu, celui de l’amour que nous vouons
 à l’être cher dont, à l’instant où il nous sourit, nous partageons l’innocence.

 

Éric Chassefière, dans ce petit recueil, a poli de lumineux cristaux de langage, qui rendent chaque page du livre dense et méditative, insolite et familière, touchante et pourtant réaliste et vraie. Pour le citer une dernière fois, je reprends, en les détournant à peine, ses propres mots : “Seule au centre de son regard, la fleur [de sa poésie] paraît faite de profondeur pure. […] Cette fleur, il la tient dans ses yeux comme on tient une gemme dans la paume de sa main.” Éric Chassefière est peut-être un bon physicien, ce n’est pas à moi d’en juger ; mais c’est en tout cas un merveilleux poète, et le prix Georges Sarantaris (un poète grec que mon ami O. Élytis appréciait fort !) reçu par Éric Chassefière en 2015 pour un précédent recueil, me semble très largement mérité…