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Éric Chassefière, Le peu qui reste d’ici

Quatre suites composent Le Peu qui reste d’ici : Serrer le poing comme le poème, Une vie dessous, Rejoindre la mer et Os et souffle mêlés

Même si l’instant est avare de compliments, la vie vaut la peine d’être vécue. C’est ce que chante Éric Chassefière. « Sans autre épaule que la joue » (p 11) affirme-t-il, sans préciser à qui cette joue appartient. Le poème se fait fragment d’un ensemble plus vaste. Plus loin, le poète récidive après avoir énuméré les incidences heureuses de la vie : « prenons corps dans l’ombre qui meurt / vivons sans nous soucier de la mort / mourons sans nous soucier de la vie » ( 14). Quel est ce « Il » qui traverse les pages du recueil ? Le père qui s’évade peu à peu dans l’oubli ? De fait, Éric Chassefière, mêle au je le il et le tu, ce qui ne simplifie pas la lecture. Un indice permettrait d’y voir clair : « yeux renversés dans la mémoire / il voit ce que ne voyons pas / entend ce que nous n’entendons pas » (p 13), indice qui autorise l’hypothèse précédente… Et puis il y a le dialogue entre les poèmes plus intimistes et, disons-le, les plus descriptifs du comportement du père. Et puis il y a, comme ces récurrences, c’est sans doute ce qu’il y a de plus touchant dans ce(s) poème(s) ; et puis il y a ce matérialisme (original, inouï : je ne sais comment le qualifier) ; ces vers en sont le témoignage :

 

Éric Chassefière, Le peu qui reste d’ici, Éditions Rafaël de Surtis, collection Pour une Terre Interdite, 96 pages, 15 euros.

Éric Chassefière, Le peu qui reste d’ici, Éditions Rafaël de Surtis, collection Pour une Terre Interdite, 96 pages, 15 euros.

la capacité qu’a la pierre de penser
s’opposer au silence par le silence
(p 23)

Dans Une vie dessous (p 29), la mort fait irruption : est-ce celle du père ? Éric Chassefière semble revenir dans la demeure familiale qui lui fait aussi prendre conscience de notre finitude. Mais le pouvoir du poème, des mots reste invincible car « les mots sont les cicatrices du souvenir » (p 43).  Éric Chassefière fait preuve d’une extrême attention au paysage qui l’entoure, qu’il soit bucolique ou urbain…

Avec la suite Rejoindre la mer (p 49), les choses semblent s’apaiser. Il est vrai que l’on change de lieu : on passe de la campagne ou d’une ville arborée au bord de mer : Éric Chassefière trouverait-il la paix dans les deux évènements qu’il a vécus ? Le poème se fait plus descriptif encore que le poète est seul avec le silence et prend le temps de ce silence. J’ignore si Éric Chassefière écrit ces poèmes après la mort de son père, mais c’est ainsi que je les lis car celui-ci touche « à la plénitude de l’étreinte » (p 62) : s’agit-il alors de reconstruire l’enfance en allée ? 

Dans la suite Os et Souffle mêlés, le lecteur assiste à un retour à la nature et au souci de l’écriture juste car la justesse de l’écriture est la caractéristique de ce recueil. Rien n’est jamais nommé ou désigné précisément et pourtant l’écriture est on ne peut plus juste. Ce qui n’empêche pas « le vieil homme [de se rendormir] bientôt déjà hors du temps » (p 69). Le ton se fait parfois baudelairien et on pense alors à Spleen.

Un recueil plein de sensibilité et c’est rare !