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Exil Exit de Pierre Cendors

       A lire Exil Exit du poète et romancier franco-irlandais Pierre Cendors, on ne peut pas s’empêcher de penser au titre du fameux livre de Milan Kundera, La vie est ailleurs. Mais c’est sous les auspices de deux poètes que s’ouvre et se clôt ce petit livre aux allures de road movie urbain (*). Cendors cite en exergue Kenneth White : « Reste où tu es, c’est le meilleur moyen d’arriver quelque part ». Et conclut son recueil par ces mots de Paul Eluard : « Il y a un autre monde mais il est dans celui-ci ».

         Cet autre monde, Pierre Cendors en quête les signes dans une errance urbaine placée sous le signe d’injonctions adressées aux piétons comme aux automobilistes : « Allumez vos feux », « Affichage interdit », « Halte péage », « Accès aux voies », « Zone bleue »… Autant de titres de chapitres déclinés dans son livre pour évoquer cette jungle urbaine où l’auteur cherche sa voie, ou plutôt son visage. Qui est-il ? Que veut-il ? Que cherche-t-il, lui, anonyme dans les rues ? Lui, mais aussi nous, ses compagnons d’errance. C’est en effet un autre lui-même qui s’exprime, ici, de bout en bout. « Tu ne veux plus marcher. Tu marches. Tu avances sans ressentir ni faim ni soif, d’ailleurs tu n’avances pas, tu dérives ; des passants foulent ton ombre, des visages emportent ton regard ».

         Par bouffées, le passé revient à la surface. « A l’école, les professeurs te jugeaient distraits, tes amis te croyaient amoureux, seuls tes parents te laissaient en paix ». De ces parents il nous renvoie d’abord l’image d’une mère au profil de mater dolorosa : « Tu la vois revenir, chaque soir, en larmes de la ville. Tu revois son visage en exil ».  Le poète se souvient aussi de ses huit ans. « Tu revois le territoire élémentaire du jardin dans la poussière et le soleil. Accroupi au-dessus de la terre nue, tu fredonnes une musique d’action, absorbé dans un monde minuscule, visible de toi seul ».

     Seul aujourd’hui dans la ville, frôlant les passants, traversant les musées au pas de charge ou restant en arrêt devant l’écran de son mobile, Pierre Cendors nous dit beaucoup, mine de rien, de la vie d’aujourd’hui. Son regard acéré aborde les lieux communs de nos propres errances urbaines. « Ici un homme fait tourner l’hostie géante d’une pâte à pizza ; là une vendeuse enfile des bas sur les jambes d’un mannequin sans torse ». C’est peut-être de cette vie sans queue ni tête, désarticulée, dont veut nous parler aujourd’hui le poète sous « l’emprise d’une insondable nostalgie ».