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Extinction (2)

 

 

 

« I’m becoming a ghost,
So, nobody can knock me. »

Jack White,  All Alone in my home

 

 

              Autrefois, les pensées furent comme des mouches noires. Un éclat cruciforme de métal en fusion lui ôta un instant la vue. Une fissure. Sa vue des choses comme monde. Un éclat de lumière en fusion aurifia ses yeux noirs et blancs.

            Autrefois. Ses yeux, à elle. Bleus et blancs de grand plein jour. Entre eux. Le silence glacé et métallique des mots vidés de sève. Des paroles exsangues.

            Les étoiles purpurines, larmes pur d'yeux invisibles. Les étoiles, yeux de feu du sublime abîme absolument insondable. La bruine qui s'écoule doucement dans l'air uniformément doux de la nuit, composée de minuscules larmes célestes. Les mots s'élèvent de son cœur-étoile.

 

Elle, jeune fille.
Entre eux. La chaleur d'un silence essentiel.
La prière des corps.

 

            Et puis ce jour-là elle avait pleuré dans ses bras.  C’était tant de temps plus tard, plus loin. Et, comme si quelque chose vraiment existait encore. Vivait encore entre eux. Comme si… Il l'avait consolé. Enlacés. Désolés. Ils étaient restés là, au milieu des cartons, des sacs éventrés, troués, rongés par le feu acide du temps. Là, au cœur de toutes ces choses qui avaient été amassé, accumulé et qui avaient pesé sur leur vie. Leur vie commune, à eux et aux objets, aux choses acquises mais pas vraiment chéries, pas comme il aurait fallu. Tous ces amis maltraités étaient devenus poison. Des kilos de plastique, de bois, de verre, de céramique et de tissus sans vie, sans vie, ils en étaient persuadés. Maintenant il fallait s'en débarrasser, les liquider, en fermant les yeux, vite, vite, sans y penser. Sans laisser aux objets le temps de les ramener vers les émotions passées, enfouies désormais sous d'autres kilomètres de tissus et kilos de verres, de bois, de plastique... Les oiseaux chantaient, ils martelaient les étincelantes paroles sonores de leur poésie rythmique, indifférents en apparence à cette déchirure. Et le vent aussi, insensible vent qui faisait tintinnabuler les feuilles et les fleurs, et le lilas de blancheur virginale qui éclatait en frisson...

Maintenant tout est éteint, tout est fini

 

 

Quel était ce parfum à ses yeux,
Cet ondoiement à ses cheveux ?
Ce sentier semblait si lumineux
Qui frôlait l’église d’où
Elle contemplait les cieux

Les nuages percés, les âmes emperlées
En carence de fièvres
La cadence est mièvre
Les prières bâclées.

Dis moi, dis moi,
Combien de perdrix
Pour faire ce pré tout gris ?

Dis-moi, dis-moi,
Quel est cet appétit
A perdre ce qui est acquis ?

Tu jettes des cailloux
Dans ma rivière
Mais, rien à faire,
L’eau placide en reste claire
Rien ne la trouble,
Elle reste limpide
Elle demeure fière…

 

 

            Les mots s'élèvent de son cœur aurifère ! Appel insondable. Parole non formulée, irréductible à une formule. Pure parole du cœur d'or. Suivent, encore : [… inaudible]

            Sur le chêne une corde. Oui, là, un nœud. Pourrissant l'attache se cache, imitant le lierre, singeant la liane. Les jeux furent continuels. Continuent-ils (invisiblement cruels, hors de portée) ? Un rire cristallin s'enfuit, infini. Caracole, cour, dégringole. Le rire d’une petite enfant qui agite ses frêles guiboles qui, à peine, la porte. Qui courre et qui rit en s’échappant sur le vert tranchant de l’herbe, déplaçant l’air embaumé de la fragrance de l’herbe fraîchement coupée. Qui courre et rit à perdre haleine ensemble. Le rythme saccadé de la respiration inséparable de l’hilare hoquet. Tout cela chancelant. 

            Autrefois ce fut une plage. Le soir, tard. Il est toujours tard dans la mémoire. Une lumière agonique, et des ombres découpées, et la mer immense et noire. Des silhouettes qui s'ébattaient comme taillées, par une lame émoussée. Et la mer, intense et noire qu'on entendait plus qu'on ne la voyait. Tout s'éteignait et l'on devinait. Les choses, les mots, tout se fondait, et s'infondait, tranquillement, paisiblement. Sans confusion. Paisible dragon. Tout, les mots, les choses, les rires s'unissaient distinctement. Et les lumières de l'obscurité révélaient les vérités infuses. Entendre les couleurs, goûter les sons, voir son souffle. Les pensées sont plus nombreuses que les grains de sable, et une mer lisse, abysse inconcevable les recouvre. La mer lisse de l’ordinaire. L’eau lourde du ON…

            Autrefois, ce furent les vagues; autrefois, toujours le soir… mais, la mémoire n'est pas pour les souvenirs.

            Allait-il se relever. Allait-il se lever ? S'extraire de cette couche ? Dans cette humilité il y avait une puissance. Une puissance de mort/vie. « Si le grain ne meurt… ». Et puis, la semence et la terre, assassine fertile. La nature muette et puis les mots. Les mots, qui contenaient une puissance de mort/vie.

            Allait-il se défaire ?