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feux de rampe

 

suite pour Jean-Paul Daoust

 

réverbération de l'enfance
dans les marées de l'âge

d'une même voix, poser les continuités
 

osciller entre deux amériques
passer sans encombre la frontière
et témoigner encore des anciens feux

ne se sentir à demeure
que dans les limites de la peau

ou perdre
ou prévoir de marcher sur la glace
rire derrière les lunettes noires
garder un œil sur le poème à venir
et la hauteur des collines arborées

rien à gaspiller
tout à donner
faire accueil
une part de désordre et l'autre d'organisation
considérer l'espace libre et la page blanche

s'inviter partout comme le fait le vent

des horizons d'îles
un ou l'autre moustique agaçant
bientôt l'orage viendra laver
c'est debout que surgissent toujours les paroles
pour celui qui se tient à l'ancre ou l'autre qui regarde au loin

en maraudeur souverain
s'augmenter de l'improbable

refuser n'appartient pas au contrat
une voix offerte traversera les campagnes reculées, les forêts peuplées d'ours, les ports aux bateaux échoués

nos paysages sont indélébiles et à l'écoute, brins tendus et grains pour la récolte
les murmures gardent droit de cité

nos soifs ne déménagent pas
elles s'étanchent au plus proche de nos images
dans l'ordre de la couleur du ciel
et l'exigence continue de la syntaxe

obtempérer aux regards
mais pour quelles conquêtes, quelles cartographies ?
prendre la main d'un désastre
et le mener au plus haut des vocables
— revenir vainqueur, quelques heures après l'aurore

faire toupie de qui voudrait tourner
offrir la courbe à qui voudrait entourer
laisser venir celui qui désire étreindre

certes la nuit pèse
mais le jour poursuit ses exercices
associer le geste aux espérances
nouer l'ordre d'un vieillissement, d'une dépendance aux saisons

trier ce qui sera légumes
et ce qui engendre l'indulgence

il n'y aura pas besoin du microphone
du souvenir de venise
d'une veste aux couleurs éclatantes

il y aura des cendres pour marquer la date
l'écho d'une ancienne scène
un rire enjoué pour l'engagement dans l'instant

continuer à sourire
et juger encore la profondeur des alcôves

nommer ce qu'il reste d'illusion dans un nuage

ne pas quitter les feux de la rampe
avoir des océans meurtris et de la paille tressée
un versant célibataire exposé à l'ombre
afficher des bouquets de roses pleins les yeux
mettre toutes ses antilles dans le coca

gouverner l'incandescence
avec une bienveillance nonchalante

venir, comme tous les mots, en contrebande
maquiller l'âme moderne

abandonner sur un banc du parc
le journal d'hier et ses tiédeurs passées

rimbaud ne parle plus, ne crie plus, ne pleure plus
danser à sa mémoire et goûter à des chocolats noirs

un bal intime au bord du fleuve

les chagrins ne connaissent pas de communes mesures, ni les conquérants des terres stériles.
celui qui dort maintenant sera de quart durant la prochaine tempête.
apprendre à construire un feu, protéger l'évidence et les légendes, exercer une lenteur opportune.
sur les marchés, se repaître d'épices, d'herbes, de poissons encore palpitants.

circonstances terraquées
faire de l'affection une veille prolongée

les solitaires se parlent en argot

peut-être pas tant l'histoire qu'une suite d'anecdotes
une chronique enfouie dans des agendas oubliés
toujours à reprendre
demain sera clair et le bar accueillant

quoi que l'horloge indique, les heures font des haltes
les instants accaparent, gorgés d'essors
encore un mot pour le poème, une visite médicale, un projet de voyage
s'écarter d'une jeunesse

blanc de page

d'une même main à la table du scribe
revenir vers l'infini, recommencer l'horizon

établir la légitimité d'une fougue

laisser derrière soi

des épaves de lunes
quelques découpes d'organdi
une infante fatiguée sur un lit de fortune

le monde errant n'a nul besoin de nombre ni de clameurs
l'hospitalité s'alimente à sa propre source

ce qui viendra naîtra avec le sentiment de l'irruption
qui sait, peut-être, l'idée d'un volcan
et puis des cendres et des fumées
la manière majeure de brûler

il faudra donner un répit au sentiment des flammes
une stabilité aux passions consumantes

tourner la page
arriver au bout du livre ou avoir épuisé le cahier
ne garder de la parole que ce qu'elle répandait d'éphémère
se souvenir du perpétuel et de l'amoncellement

bleu intrépide
poing vertical

remettre l'expérience conquise sur le métier

dénoncer l'imposture et les imprécations tremblantes
les songe-creux et les troubleurs de fête
ces heures qui suivent l'élection ou précèdent un tourment

être poète pour des lendemains fertiles
et les vertus actives du verbe, les lotissements de l'écoute
ni absoudre ni disculper
debout toujours dans l'imminence du ciel

le velours rouge pèsera encore son poids de rideaux
et les larmes glisseront par gravité sur des joues prévenues

ce qui palpite ici a déjà échappé aux tragédies

s'étendre dans un décor lointain
trouver richesse d'un temps de fouilles, d'un accablement distrait
dormir sous les couvertures et les encouragements
prendre un miel ou un alcool
rendre grâce

ne rien dépareiller dans les éblouissements

disons
un coulis de framboises disposé sur la neige
un hiver soutenu
des mois passés sans oser la paume
une retenue
et pourtant jusqu'en mai

plus tard, ajourner les vendanges
considérer les scintillements
entasser pour prévenir ou annoncer

rebelle qui donnera de la voix
il se trouve ici des réserves insoupçonnées de paroles
à l'équidistance des courtoisies et de la rumeur

matin pâle, matin pâle
ne m'attends pas

en peignoir et tête haute
se tenir sur le seuil des devenirs

il n'y a jamais de retard à exister
l'exactitude formule ses représentations
les gloires recousues procèdent d'anciens prétextes

pour essentielle nourriture
dispenser un parfum de voix

niveau du lac
lisse comme le tambour calme d'un destin

survivre
dans les longs poèmes ou un bref mémento
augmenter l'ardeur d'un désir

les merveilles ne produisent pas d'effets de manche
la patience envisage tous les prodiges

se soulever
dans la fraîcheur partisane
et dans l'admiration du monde

 

 

bruxelles, septembre 2013