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FIL DE LECTURES DE PIERRE TANGUY : Bernard Grasset, Olivier Cousin

 

                  Bernard Grasset : « Les hommes tissent le chemin »

 

 

     Bernard Grasset avait qualifié son précédent livre (Chemin de feu, éditions du Lavoir Saint-Martin, 2013) de « journal poético-culturel en quête de lumière ». Les textes qu’il publie aujourd’hui sont à l’avenant, accompagnés également par les œuvres d’un peintre de talent (Jean Kerinvel). Nous voici de nouveau avec lui en chemin, dans un voyage poétique, qu’il qualifie d’ « aventure, exploration, accueil des sources ».

      « Les hommes tissent le chemin », nous dit donc Bernard Grasset. Avec eux, il file la trame des lieux et des instants. Le poète ligérien – il vit en Vendée et travaille à Nantes – éprouve de tout son corps (et de tout son cœur) des moments vécus intensément : ici entre « oliviers et amandiers », ailleurs entre « bruyères et fougères ». Ambiances méditerranéennes d’un côté, atlantiques de l’autre. Pas de lieux nommés, mis à part – comme involontairement – la Loire, le Rhin et la Grèce. « Liberté au lecteur, nous dit Bernard Grasset dans la préface de son livre, de parcourir ces lieux et ces temps sans nom pour leur donner la couleur et la musique de sa propre vie ».

     Pour autant, le poète ne dédaigne pas de prendre, à l’occasion, le lecteur par la main. Sous sa plume des mots-clés surgissent en forme d’appels : « Ecouter », « chercher », « écrire », « vivre », « marcher », « penser », « contempler », « écouter »… Comment ne pas penser à cette phrase du poète Gustave Roud : « Nous étions nés pour la contemplation, mais quelque chose d’autre nous est imposé sans merci».

     Bernard Grasset nous conduit précisément à cette exigence de contemplation. Beauté du monde, donc, charme des lieux. Oui, parce que voyager poétiquement, affirme Bernard Grasset, c’est « rechercher un sens à notre destinée en marchant inlassablement vers un jardin de lumière cachée ». Le poète, dit-il encore, est « le déchiffreur de l’univers ». Belle mission qu’il s’assigne à sa manière. Ainsi, sous sa plume, « La Loire murmure/l’autre pays » et « l’accès au mont solitaire/ouvre sur le silence, l’infini ».

    Le poète allie ainsi subtilement, tout au long de son livre, la méditation philosophique (et spirituelle) aux énoncés les plus concrets sur la simplicité des jours. « Un banc de pierre/des moineaux, le vent/la lueur d’un vitrail/habite la pénombre ». Mots élémentaires, presque ascétiques, pour dire la plénitude.

 

Les hommes tissent le chemin, voyage 2, 2002-2008, poèmes de Bernard Grasset, peintures de Jean Kerinvel, Editions Soc § Foc, 12 euros.

 

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                           Olivier Cousin : « La hache de sable »

 

      Il faut sans doute être poète pour affirmer que « le meilleur outil » de l’homme est une « hache de sable » et non pas « des kilos d’outils mal conçus/à la ceinture et dans les poches ». Pourquoi ? Parce qu’il arrive à l’homme de « prendre rendez-vous avec/une certaine forme de sérénité ». C’est Olivier Cousin qui le dit au début de son nouveau livre en forme d’autoportrait, comme c’était déjà le cas dans ses Fragments du journal d’Orphée (éditions Kutkha, 2014).

     Le poète breton manie facilement le regard distancié – jusqu’à frôler l’ironie ou la dérision – quand il parle de lui-même et surtout d’un monde dont il mesure bien les extravagances et les failles béantes. « Malgré un égoïsme bien partagé », confie-t-il, « je me fais de la bile pour un monde qui déchante ». D’où ce propre désanchantement qu’il partage, d’une certaine manière, avec le poète Paol Keineg (à qui il dédie un chapitre de son livre). « La campagne suppure d’odeurs lourdes/qui insupportent même les gloutons/D’ici peu chaque chemin fera demi-tour », écrit Olivier Cousin. «Ajoutez à cela/qu’on mesure une révolution/agricole/à l’épaisseur des mauvaises odeurs », écrit Paol Keineg dans Mauvaises langues (Obsidiane, 2014)

     Alors que peut la poésie en ces « temps de détresse » ? (mais tous les temps ne sont-ils pas des « temps de détresse » ?). Peut-elle nous protéger d’une « mort imbécile au coin de la rue » ? Pas vraiment, estime Olivier Cousin. L’auteur est, malgré tout, tenté de définir un « ars poetica » en forme d’insurrection face aux « agioteurs obtus » qui « ourdissent le chaos » ou aux « démons tenaces » qui « sclérosent les esprits ». Que fait alors Olivier Cousin ? « Je dépose mon dégoût au pied des pissenlits/il servira de terreau à la vigueur des mots ».

     Cette vigueur des mots, il l’a notamment trouvée dans l’œuvre de Seamus Heaney « En profondeur, il remue la terre/de temps à autre pour l’aérer/se vivifier le corps et l’esprit », écrit-il à propos de l’œuvre du poète irlandais dont il est un grand admirateur. Olivier Cousin, pour sa part, travaille sa « matière bretonne », mais sans folklore, sans clichés et, a fortiori, sans crispation identitaire. Il est armoricain parce que né, ici, « dans le crachin incessamment perpétuel », mais ses « racines armoricaines pourraient être partout ». Il y a, certes (en bon habitant des lieux), une « sortie en mer » du côté de Kerlouan, mais, affirme-t-il, « sortir en mer/remonter les casiers/c’est faire de la métaphysique/Sortir en mer/c’est sortir de soi ».

     Voilà bien un poète en lutte contre toutes les entreprises d’enfermement. Y compris celles que l’on destine à soi-même. C’est son noble et ambitieux « ars poetica ».

                                                                                  

                                                                                                        

 

La hache de sable et autres poèmes, Olivier Cousin, La Part Commune, 126 pages, 14 euros.