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Florence Trocmé, P’tit bonhomme de chemin

Une réussite que ce livre de Florence Trocmé que la communauté poétique connaît dans un autre rôle que poète à proprement dit. Livre dense, généreux, subtil, singulier, bref intéressant. L’auteure « reprend ici à son compte un récit méconnu de Jules Verne, P’tit Bonhomme, qui relate le périple d’un orphelin au temps de la domination anglaise et des famines en Irlande, au XIXè siècle. »

On rajoutera : et dont l’itinéraire dévoile une véritable épopée. L’admiration de Florence Trocmé pour Jules Verne est un fait avéré par sa lettre adressée à l’auteur comme s’il était toujours vivant (« Cher Monsieur, cher Jules Verne »), lui exprimant sa reconnaissance sous un regard affectif et expliquant la raison de ce livre-hommage. En plus de la référence au récit méconnu de Jules Verne, le livre puise au documentaire, relate des faits précis couvrant le XIXème siècle, avec une mise en parallèle de l’Histoire plus récente, voire en cours. « Conte, conte, serais-tu conte, ton histoire est- / elle un conte, P’tit Bonhomme ? » Comment s’aborderait l’Histoire lacunaire avec ses zones d’ombres sans ces « rapporteurs » que furent entre autres Hugo, Balzac ou Zola ? Véritable emboitement que la construction de ce recueil entre exégèse du livre de Jules Verne et éclairage surexposé du monde défini par la condition humaine en son cheminement continuel, sans que ces deux niveaux de lecture ne se parasitent.

Florence Trocmé, P’tit bonhomme de chemin, éditions Lanskine, 2121, 14 €.

Véritable machine à remonter le temps par sa valeur documentaire sur les conditions de travail, l’évolution technologique d’une époque (pas si éloignée), sur ses mœurs d’une façon générale, où l’on apprend ce qu’étaient les chapbooks (medium culturel), la Ragged-School (« établissements (…) pour accueillir des enfants abandonnés et tenter de leur donner un / semblant d’éducation » soutenus par Charles Dickens).

Des notes essaiment d’un bout à l’autre du recueil, renvoyant à des citations d’auteurs contemporains (de Proust à J.C Bailly en passant par Walter Benjamin), à des articles de journaux, des émissions radio, des expositions récentes, des sources Wikipédia, et même à la correspondance privée de l’auteure. « Comme pour tout vrai conte, on / n’en épuise pas le sens (…) ». Comme il est rappelé, toutes les citations en italiques non référencées sont tirées du P’tit bonhomme de Jules Verne, en filigrane tout le long du texte. Les associations d’idées chez Florence Trocmé résident dans une confrontation de son ressenti à celui du grand auteur, en trempant sa propre sensibilité dans la sienne comme on le ferait d’un acier pour ajouter à sa dureté. Ses références culturelles et artistiques afin de dresser un portrait de ce « p’tit bonhomme » selon son image, font briller des valeurs à l’abri des grands principes dissouts dans ce qu’on pense d’époque en époque comme l’élévation du niveau de conscience.

Le poème prend forme par des vers justifiés plutôt courts en des paragraphes comme des aplats espacés sur la page par des respirations. Malgré tout un fil rouge est visible dès le début pour mener le lecteur à la suite d’une pensée qui s’autorise d’elle-même avec ses apartés, ses aspérités rencontrées sans qu’on se perde puisque par nature la pensée s’éparpille pour revenir à soi-même, créant ainsi au fur et à mesure son « p’tit bonhomme de chemin ». C’est donc en toute quiétude qu’on chemine dans le paysage intérieur de Florence Trocmé (ou ce qu’elle nous en laisse voir). La révélation derrière le rythme, le ton et le phrasé s’annonce dès le début : « Né de personne, fils de rien et de rienne, / P’tit bonhomme qui donc t’a craché tout seul / À la face du monde tout nu sans rien. (…) Sauve-toi vite fait, sauve-toi, allez P’tit / Bonhomme, poudre d’escampette par le / Chas, file, hue&dia, file, plus jamais cette / Vieille Hard, ne regarde pas en arrière, / Fonce au creux du noir (…) » Le vers coule mais cingle.

C’est l’histoire d’un livre qui ne pouvait pas s’écrire sans un sentiment de révolte tel qu’il suscita chez Jules Verne l’écriture de son P’tit Bonhomme. Florence Trocmé fait du héros livresque l’instrument de l’innocence en tant que seule révolte possible. Le poème rachète cette inertie négative, montrant qu’innocence et fragilité sont des forces allant à l’encontre de ce qu’on nomme ici ou là l’échec de la littérature devant la violence, l’injustice et le désespoir. « P’tit bonhomme, n’est-ce pas ce que j’essaie de faire ici, te donner forme et vie nouvelles ? » Dans la mesure où un héros sur le papier est l’incarnation de l’esprit de son temps, c’est tout naturellement que Florence Trocmé lui redonne souffle et vie, en rappelant combien la poésie qui refuse cet échec est une alternative dans cet espace médiatique aux images de plus en plus calibrées. A coup sûr ce « p’tit bonhomme de chemin » garde l’empreinte d’une grande liberté.

Présentation de l’auteur

Florence Trocmé

Florence Trocmé est née en 1949 à Paris, vit à Paris. Elle est membre de la rédaction de la revue Siècle 21 et de la commission Poésie du CNL (2006-2009), elle a créé et anime un site sur la poésie contemporaine, Poezibao.

© Crédits photo Jean-Luc Bertini/Pasco.

Poèmes choisis

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