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Gérard Bocholier, J’appelle depuis l’enfance

 (…) l’œil gris et paisible
Du Temps l’unique maître 

 

On entre comme on ouvre une porte dans cet univers personnel, apparemment si simple. Et pourtant, il vient une ombre quand on parcourt ces textes lumineux, l’ombre du texte qu’on aurait pu lire à leur place et, soudain, on s’aperçoit qu’elle, c’est lui, qu’il est en même temps ombre et lumière, ce qu’il évoque et ce qu’il creuse, ce qu’il chante et le silence qu’il permet.

Il y a tout d’abord dans ce recueil, dès la première lecture, ce don : ces poèmes aux musiques subtiles, simples et régulières comme des comptines d’enfant ouvrent à de la nuit.

 

J’écris pour surprendre
Celui que je suis

 

Gérard Bocholier, J'appelle
depuis l'enfance, 
 La Coopérative,
2020, 16 €.

 

Mais de quelle nuit s’agit-il ? Cette poésie narrative conte l’histoire d’une vie, avec beaucoup de force. Les trois parties, très clairement, dessinent trois moments d’une existence, une enfance rurale et sa dramaturgie à l’imparfait, dans « L’ENFANT DE SEPTEMBRE », une jeunesse turbulente et tourmentée dans la deuxième partie « QUI J’ETAIS » avant que les trente-trois poèmes composés tous de deux quatrains et écrits en heptasyllabes, « CHANTS POUR LA FIN » ne fassent rayonner un présent perpétuel. 

La poésie semble là pour border une angoisse, les octosyllabes, les heptasyllabes, les hexasyllabes, les quatrains, les tercets permettent de transfigurer celle-ci en « mètres simples » même si

 

Toujours hantés par l’énigme
Les mots ces volubilis
Ne tiendront pas sur l’échelle
Plantée dans la vase obscure.

 

C’est cette tension entre le silence et la poésie quand même qui donne à ce texte sa force, sa fragilité et son charme. On a envie de tourner les pages parce que, sans le dire explicitement, ces vignettes, ces anecdotes, ces tableaux et instants d’âme que sont ces poèmes montrent les étapes d’une histoire et en révèlent le parcours. La première partie, où l’imparfait est omniprésent et souligne une durée indéterminée pendant laquelle « Rien n’arrivait », se clôt sur la mort du père « 12 mai 1980 » ; la deuxième partie, elle, évoque magnifiquement mais avec quelle sensuelle et ardente pudeur les affres de la sexualité :

 

En rendez-vous avec moi-même
Bien plus qu’avec ces inconnus
Qui disparaissaient comme en rêve
Ai-je jamais su qui j’étais (…) 

 

 Elle aboutit, in extremis, à une conversion :

 

Mais soudain comme une grâce
Une libation de source
M’a délivré 

 

Dans la troisième partie, le poète, après avoir en vain cherché dans l’autre lui-même la solution de son énigme se tourne vers le Grand Autre ce qui donne à cet ensemble un caractère à la fois mystique, serein et solaire : 

 

J’engrange de l’invisible
Sans me douter qu’il est l’heure
D’aller vendanger la vigne
Où j’ai si peu travaillé 

 

La Grande Nuit de « la Fin » ne fait plus peur, même si elle est inéluctable. Il faut l’avoir traversée pour pouvoir, enfin, vivre l’aube.

 

Non la mort n’est pas l’absence
L’absence n’est pas la nuit
Hors du temps bruit le silence
Je bois ton aube infinie 

 

Voilà un texte qui rayonne d’humanité et de poésie.

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