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Grenier du Bel Amour (11). L’eau, maîtresse de mort et de vie

 

On se rappelle peut-être ce merveilleux essai de Gaston Bachelard, qui s’intitulait « L’Eau et les rêves ». Et qui fut édité en son temps (ou était-ce la volonté expresse de son auteur ?),  par José Corti… Toujours est-il que ce furent ces réflexions qui changèrent à jamais ma façon de voir la poésie, tant, à la croisée de la rêverie la plus profonde et de la méditation (mais ne seraient-ce là deux noms prétendument différents de la même expérience ?), il en ressortait un regard neuf et totalement renouvelé sur les éléments de ce monde.

 

Aussi, l’on comprendra que je veuille à tout prix saluer la dernière parution de Valère-Marie Marchand qui, dans ce qui me paraît la plus grande fidélité à celui qu’il faut bien nommer son « maître à penser », livre aujourd’hui au public les mythologies que, apparemment, elle n’a pu s’empêcher de nourrir au fil de l’eau !

Le « complexe d’Ophélie », m’a-t-il ainsi paru, n’est jamais très loin, ni la figure de ce Charon qui faisait se demander à Bachelard si la mort n’avait pas été le premier navigateur – tout en se rappelant bien que c’était la traversée de cette épreuve qui nous faisait éventuellement déboucher sur la renaissance à d’autres climats et à une autre vérité de notre âme.

C’est de la sorte qu’après avoir rêvé sur l’occident de l’Irlande et sur son Connemara de toutes parts aquatique, après s’être laissée fasciner par les songes d’Athanasius Kircher (qui connaît encore aujourd’hui les œuvres de ce père jésuite ?), l’auteure nous entraîne, à travers l’évocation des larmes (« Lacrima »), à travers celle de « La boue », à travers celle des « eaux du Léthé », vers un « rêve au soleil » - ou tout comme ! -  qui nous  livre enfin les clefs de notre imagination sans fond, et nous ouvre les portes d’une réflexion sans fin…

Qu’on me permette ici de recopier les dernières lignes du recueil : « Elle s’était dit que l’eau naissait d’elle-même et que l’on ne connaissait pas vraiment le trajet de la pluie. (…) Puis elle avait voulu voir les insectes qui sommeillaient dans l’herbe, l’arrivée du soleil l’autre bout des collines. C’est à ce moment qu’elle s’était mise à sourire, à songer à une seconde vie, à une clef qui ouvrirait tous ces instants fragiles, libre d’elle-même et de ses intervalles non dits… »

 

Comme si, en effet, « ce n’était pas bien compliqué à faire, à dire, à expliquer peut-être. Ce n’était qu’un livre qu’elle avait ouvert et aussitôt refermé. »

A cela près que, une fois ce livre refermé, il nous poursuit sans arrêt de toute sa charge imaginaire et, ce qui n’est en rien contradictoire, des abîmes de méditation qu’il aura révélés au plus profond de nous.