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Grenier du Bel Amour (13)

Voici longtemps que, à la suite de la traduction en grec des livres de la Bible par les « Septante » à Alexandrie, nous avons pris l’habitude, dès qu’on parle de l’Amour, d’opposer les deux  termes d’éros (qui aurait plus ou moins à voir avec la pulsion sexuelle) et d’agapè (l’amour libre de tout ‘souci de soi’, ouvert aux autres et à la gratuité de Dieu).

Distinction qui a largement à voir, en-deçà d’Aristote, avec la distinction déjà introduite par Platon entre l’Aphrodite pandemia – autrement dit, l’Aphrodite vulgaire à laquelle nous sacrifierions trop facilement – et l’Aphrodite ourania : l’Aphrodite céleste auquel n’auraient accès que ceux qui, d’une manière ou d’une autre, sont engagés dans une véritable quête philosophique.

Distinction et opposition reprises à satiété par le christianisme triomphant – et donc par notre culture : Anders Nygren, le théologien scandinave, s’appuie entièrement dessus, et on sait comme, dans sa fameuse (et si fausse) analyse de l’histoire de Tristan et Iseult, quelqu’un comme Denis de Rougemont y a sans cesse recours. Jusqu’à un Jacques Lacan (quoi qu’il s’en défende et qu’il mette apparemment en cause les deux auteurs que je viens de citer), qui, dans son christianisme de fond, y fait encore largement appel !

C’est pourquoi il est bon et rafraîchissant de suivre une méditation au long cours qui fait bien ressortir comme ces deux notions ne sont pas forcément antithétiques, mais se trouvent beaucoup plus dans un rapport d’inclusion de l’éros par l’agapè (et réciproquement, aurais-je personnellement envie d’ajouter)

D’ailleurs, dans les textes sacrés de notre civilisation, c’est-à-dire dans l’ancien hébreu, n’était-ce pas le même verbe dont on se servait pour désigner le fait d’aimer – que ce fût une femme (je suis évidemment un homme !), ou bien le Seigneur ?

C’est pourquoi – bien que, on s’en doute, je ne sois pas toujours d’accord avec lui… – l’ouvrage de Michel Théron me paraît très précieux : structuré en autant de thèmes que l’on peut aborder selon ses inspirations du moment (point de lecture imposée, et on y picore sous l’effet de ses curiosités passagères), nourri par de multiples références littéraires ou philosophiques qui ne sont jamais là pour réciter du « prêt-à-penser », mais qui viennent enrichir la réflexion et lui permettre de s’approfondir, il offre une méditation qui bouscule bien des idées reçues et oblige à « frotter sa cervelle » à celle d’un homme dont on sent bien qu’il n’a écrit qu’après une longue expérience qu’il tente de jauger en l’éclairant, et de comprendre jusqu’à son tuf le plus profond.