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Grenier du Bel Amour (16)

Il est toujours étonnant de constater comme, en prélude à la Seconde Guerre mondiale (et alors que les dirigeants de la Grande-Bretagne et de la France, n’avaient pas su « négocier » la paix du continent européen), la Grande Guerre de 1914- 1918 a marqué les esprits - au point que tout le monde « savait » - ou avait l’intuition - que les choses ne pourraient plus jamais être comme avant : ce va bientôt être le temps de Dada, puis du surréalisme, ce va être le temps où éclate l’expressionisme dans sa manière toute nouvelle de regarder la réalité…

Et c’est dans cette optique, me semble-t-il, qu’il faut lire deux pièces de théâtre qui, - actualité oblige, - viennent d’être rappelées à notre souvenir - même si, apparemment, elles n’ont pas grand-chose à voir l’une avec l’autre.

Le premier texte sur lequel je voudrais ainsi attirer l’attention, c’est le « Don Juan revient de la guerre » d’Ödon von Horvath. En réalité, qui ne connaît cet auteur, et toutes les turbulences qu’il a connues après la prise du pouvoir en Allemagne du parti national-socialiste ? De fait, à travers ce « Don Juan » (même écrit assez tard : en 1936 !), on saisit bien tous les affres de cet héritier de la double monarchie austro-hongroise : l’universalité dont il rêve, si elle a jamais existé, n’est certes pas celle qui s’impose au-delà du Rhin. Et l’on s’aperçoit assez vite que, quels que soient les bouleversements du monde, l’homme demeure ce qu’il était dans son éternité : don Juan peut vouloir ce qui lui chante, il ne peut que demeurer don Juan. A moins que… ? A moins que ne revienne le hanter le souvenir toujours vivant  de cette « petite fiancée » sur la tombe de qui, à la fin de la pièce, il va vraisemblablement se laisser mourir comme un bonhomme de neige de toute façon destiné à disparaître. Comme s’il avait voulu trouver la féminité intégrale en « collectionnant » les femmes, et qu’il se rendait compte à la fin que, seul, le chemin de l’amour lui aurait permis d’accéder à la vérité de son désir.

Or que nous raconte d’autre Eugene O’Neill, cet irlandais qui, comme tant d’autres, a gagné les rivages de l’Amérique ? Sa pièce date de 1922, soit longtemps avant celle de Horvath, mais, dans une épaisse atmosphère de désirs, on voit bien que, dans une langue qui rend parfaitement compte des « patois » de la verte Erin, c’est toujours de l’amour qu’il est question - même si, souvent, c’est sous des visages auxquels nous ne sommes certes pas habitués. Et quoi de plus poignant, à cet égard, que les ultimes paroles échangées entre Eben le jeune paysan, et sa femme Abbie, qui vient pourtant de se défaire de leur enfant commun - par amour : un je t’aime réciproque qui clôt quasiment le texte ?

Parce que, sans doute, l’ « Eternel Féminin » (au sens exact de Goethe dans son dernier « Faust »), ne peut se donner que sous une figure singulière : l’univers peut aller comme il l’entend sous les coups de boutoir de la folie humaine, et si tout change tout le temps à cause de cette folie, il n’en reste pas moins que se découvrent ces « affinités électives » qui, quelquefois, peuvent prendre des chemins qui, à première vue, nous paraissent très étranges.

Donc, deux pièces qui nous forcent à réfléchir et, éventuellement, à voir les choses tout autrement que nous en avions pris l’habitude !

 

Notre ami et collaborateur Michel Cazenave vient de publier Le bel Amour, anthologie de ses poèmes accompagnée d’inédits.