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Grenier du Bel Amour (4)

Il arrive souvent que, bien avant Baudelaire, les œuvres en prose soient aussi poétiques (si ce n’est parfois même plus !), que des écritures prétendument versifiées…

Or, c’est précisément à l’un de ces cas que je voudrais aujourd’hui m’attacher.

Qui connaît encore Marie des Vallées, cette petite paysanne de la Basse Normandie, qui vécut au XVII° siècle, et qui appartient d’évidence à ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler l’école française de spiritualité, dans les pas conjugués du cardinal de Bérulle et de saint François de Sales – les lointains descendants de la mystique espagnole de la seconde moitié de la Renaissance – et je pense évidemment aux rénovateurs du Carmel, c’est-à-dire à sainte Thérèse d’Avila et à saint Jean de la Croix ?

(Qu’on ne soit pas effrayé par ailleurs par toute cette débauche de saints : je reconnais sans difficulté que je suis sorti voici très longtemps du giron de l’Eglise… mais comment, honnêtement, ne pas admettre ce que d’autres ont si longtemps pensé – ne fût-on pas d’accord avec eux ?).

Or, c’est l’heureuse initiative des éditions Arfuyen de nous permettre de redécouvrir aujourd’hui celle qui influença si fort quelqu’un comme Jean de Bernières et, par des voies détournées, le «quiétisme » de Madame Guyon !

Je ne m’étendrai pas sur le détour (obligé ?) par la province du Québec que cette œuvre a dû effectuer pour nous parvenir…

Mais comment ne pas entendre ce qu’il y a de plus sincère dans beaucoup des assertions de cette Marie, qui nous rappellent certains des Poèmes dogmatiques de saint Grégoire de Nazianze, les interrogations d’Utpaladeva dans le cadre du shivaïsme du Cachemire, ou encore bien des poèmes traditionnels d’un autre shivaïsme, celui du Karnataka ?

Poésie toute en prose, je le maintiens – et comment ne pas vibrer lorsqu’on lit des phrases comme celles-ci : « Je ne sais ce que je suis devenue, je suis tout à fait perdue. Je ne sais d’où je viens et où je vais, je ne sais où je suis ni ce que je suis, si je suis une créature ou un néant. » ?

Ou de lire sous la plume de celui qui l’a suivie sans trembler : «Elle ne peut ni prier ni rien faire ni penser, sinon comme on lui fait faire : il faut qu’elle demeure en son néant, et qu’elle souffre tout. Elle approuve que l’âme aille très souvent dans ce néant : l’âme n’y a rien et fait l’oraison dans son néant et son rien. » ?

On s’en rend compte sur le champ : comme nous sommes proches en ces mots des poèmes de Claude Hopil ou de François Malaval dans le même siècle ! Sans parler de certains des Cantiques spirituels d’une certaine Jeanne-Marie Bouvier de la Motte…