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Griffures de Véronique Bergen

Avec ses signes bien alignés la typographie trompe son monde, chaque strophe est une lacération.

Dans les bois de la mémoire
les rires décapitent les branches
où se balancent
trois fois oraculaires
les corps de fillettes
pendues par leur chevelure
crissant inceste

L'identité : … déposer l'état civil au vestiaire / à trouer son prénom (…) les cercueils de mes moi / à genoux dans le sperme bleu (…) Mon être ? / un raccourci de néant. L'origine : gang bang au sous-sol de la naissance. Et puis l'inceste, verbal. Celui du père qui muselle les filles-fleurs / sous un raz-de-marée de consonnes phalliques. C'est comme si, le vieux Tirésias étant mort avec le monde ancien, le charabia des dieux avait sacré le triomphe des maîtres, Jocaste et Oedipe enroulés dans leurs rets mortifères, entraînant tous les autres dans l'im-monde tourbillon. Enfants, votre chemin désormais, loin de trouver asile à Colone, s'est perdu dans des zones de marécages entre présence et absence. Pas de paysage dans cette clameur mais, par éclats, des « glimpses » sur un monde de rapine, de chasse à l'épieu et de livres sans phrases.

Sur la page blanche au blanc inapaisable, Véronique Bergen écrit l'amour, le crie : tu m'exfolies... Rabotant mes cris en biseau... Ta main refermée / sur mes mémoires qui saignent / tu me souffles / Go to Gomorrhe. Ce pays, c'est post-Paramount apocalypse, on cherche une vie, on va même dans les épines du passé / Flash-back dans les forêts / d'où personne ne revient / Défilé de mode printemps-été 1944 / sur les podiums d'Auschwitz.

Car cet espace fragmenté est aussi une boîte de vieilles photos déchirées :

les débris de mon espace d'avant
aspirant
au fil des zébrures du cuir
les fantômes
de ma chambre d'enfant...

Éléments d'une épistémé post moderne que l'auteur, née d'une déviation d'atomes, quand la mort bécotait / les particules de vie, née violée par la lumière, a déjà explorée dans ses nombreux autres livres.

Le mot a désormais les ailes arrachées et tous redoutent / le devenir borgne du Livre. Ça chante pourtant. Ce lyrisme a quelque chose de vivifiant. Et parfois drôle.

Sous tes bottes de chasseresse
mes cent et une peurs
(…) délivrent une parade sauvage
de captive quadrupède
accroc à l'élégance
de tes rires-épées.

Véronique Bergen saisit des mots jadis sacrés. Loin de les accabler, son vers ample et torturé les relance dans la vie : le rivage de ton Décalogue... paupière suaire de minuit... génuflexion devant ta loi... mes cuisses ouvertes à ta visitation.Le sacré est toujours là, redevenu ce qu'il doit rester : incandescent, intouchable.

Ainsi le poème déferle en un rigoureux rinceau de ferrailles rouges forgés à grands coups de masse. Geste verbal regorgeant de vie, de brutalité, d'humiliation & d'élans, parti de la brûlure inextinguible d'une force qui ne se sait ni corps ni personne : Au commencement / (…) poudre de fillette broyée, avant que de s'orienter, de trouver son orient dans l'autre. Loin du racket paternel, dans une lacérante rencontre : Ta voix / un rire qui descelle mes pierres tombales / un astre qui me tire par le sexe / un principe de certitude / qui bâillonne mes peurs / et me haute couture / anneaux de métal / en travers de mes spasmes.

Sans ironie, dans une éprouvante nouvelle naissance, une symphonie des amantes,Cantique des cantiques néo-tribal. Comme si l'amour devait recommencer de zéro, avant l'alphabet, avant les troubadours, avant l'humanisme. Deucalion et Pyrrha caillassant les ruines de ce champ post atomique pour en faire naître... Quoi ? Quelle humanité ? À nous de jouer.