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Hommage à Pierre Garnier

 

Le cimetière est situé entre les dernières maisons et le bois
il a la forme rectangulaire d’un petit port
chaque tombe dresse un mât.

N’euche point peur thiote gàrnoule
el Mort ale ét laù.
n’aie pas peur, petite grenouille,
la Mort est bien là. (1)

Le cimetière s’étend à l’horizon,
là où ces derniers temps il y avait encore des fleurs

« Chut, fait mon père.
Quand nous entrons dans le cimetière,
on ne parle pas ! »
Il en va de même dans le poème. Chut !

« Laisse la porte ouverte ! », criait ma mère
morte il y a cinquante ans ;
« Par la porte ouverte tu vois le ciel étoilé
il va passer, il passe ».
C’est ce qu’on écrira sur ma tombe

au village les morts vont seuls au cimetière
avant de mourir ils portent leur squelette dans leurs bras

Je suis dans l’autre monde, pense le vieil homme,
revoyant la maison, le jardin, le ruisseau, Ilse.

Monsieur Gambiez, l’instituteur qui jouait
le chant de Solveig sur son violon
n’avait
– comme lui, eux, nous –
fait que passer –

Que savait-il de ce qui lui était arrivé ?
– Rien – ou à peine.

Quand le vieil homme pensait à la mort, il souriait :
de cette chose énorme que sentirait-il ?

un point peut-être.

Elle est arrivée soudain
comme ce rouge-gorge qui sort soudain du buisson.

« C’est un poème », disait l’instituteur.
« C’est un ensemble d’échos et de reflets »
pensait le vieil homme.

Et en arrière brillait la toujours étoilée.

 

Pierre, ton « poème c’est une nativité »,
avec sa lumière, son étoile, ses étoiles.

Il y eut, pour l’enfant, Noël 1933 au sapin « couvert de cheveux d’ange ».
Il y eut Noël 43 autour de Stalingrad.
Il y eut « Noël toute l’année » en ces temps où l’oncle Léon
(Léon , le mot noël à l’envers) cuisait son pain dans son four.

Il y eut Noël 1994 où tu écrivis les derniers mots
d’Une Mort toujours enceinte.

Il y eut Noël 2013, un petit Noël humide,
Un Noël clandestin.

Et puis ce 1er février 14
où tu as décidé de prendre « l’âge du soleil »,
décidé de te croire « cinq milliards d’années à vivre »
décidé de demeurer chrysalide suspendue
dans l’attente de l’éternelle nativité.

 

Pierre Garnier/Jean-Louis Rambour

Note.
1. Les deux derniers vers du quatrain sont la traduction des deux premiers écrits en picard. Ce quatrain rappelle aux lecteurs que Pierre Garnier fut un Picard convaincu. Parmi sa bibliographie :

- Poèmes spatiaux picards ( Eklitra, 1966),
- Ozieux (Eklitra, 1967),
- El tère à bètes (Le Jardin Ouvrier, 1996),
- El tère, el tète (Le Jardin Ouvrier, 1998),
- Ech Catieu d'Pinkigni (Secondes éditions du K, 2003),
- Ech Biœ tenp (L'Enfance, 2005).