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Hommage à René Rougerie

Seul lieu de toutes les restitutions
               la mort
                 a beau vous endormir longtemps
               vos mains absentes
               nous resteront fidèles 

         Gilles Baudry          
L’Eloignement intime    
 

Ce que nous connaissons de la poésie, ce que nous en imaginons et que nous défendons, existe par le lien du livre, par le silence des secrets, par l’intuition d’une envergure possible. René Rougerie est de ceux qui ont accompagné la présence littéraire de ces soixante dernières années, en réalisant une œuvre vouée aux poètes, singulière, originale et sincère. Il porte témoignage de la conscience poétique et s’adresse à nous depuis ses livres, dans la filiation qu’il a choisie et qui a inspiré son travail. Il a suivi une ligne de conduite et constitué un monde, un réseau de lecteurs, une famille, à travers l’amour du langage.
A l’écoute des épreuves, il témoigne par la diversité des formes et des inspirations, de la source essentielle qu’il a cherchée. Il en est ainsi de la mémoire comme de ce plomb qu’Olivier Rougerie me confia un soir dans l’imprimerie, où avec Pierre Landry, nous venions saluer la mémoire de son père. Je me souviendrai de ce geste au hasard, près de la presse, parmi les chiffons, les chutes de papier, les encres, où s’élevait la mémoire vivante des regards partagés, des passagers de l’encre. Puis, essayant de lire ce fragment typographique, ce plomb inverse, je découvrais : « reconstruire le poète ».
René Rougerie depuis son atelier  de mots a porté vers nous des voix en poésie, a donné place aux plus marginaux, aux plus éloignés, dans l’évidence intime de ses préférences. En éditeur fidèle, il a accompagné ses auteurs, a défendu fermement son indépendance, exprimé pleinement ses choix. "J’ai gardé la joie de passer une à une chaque feuille. La métamorphose passe par mes mains. Le poème en garde l’empreinte".*
Et c’est avec un coupe-papier que nous entrons en matière, à mesure des pages de ce  livre  reconnaissable  entre  tous,  nous  impliquant  plus  encore au  fil de  l’acier.
Chacun à sa manière, pour accroître  ce mérite imaginaire de  la première étape :  la chance de lire.
Le nom de Rougerie brasse les cœurs de son ardeur dans la forge des livres comme un repère, un signal. Il devient une traversée du temps. S’y retrouvent ceux qui accompagnent cette poésie vivante dans l’humilité savante de la presse à bras, les odeurs imprimées et par le témoignage d’un courage à travers des générations d’écrivains où se mêlent intuition et amitié.
René Rougerie a tracé, depuis son antre de Mortemart la part sensible des ouvrages, avec ses couvertures blanches au garamond noir et rouge, coupées à la marge, tenues par le souffle conjoint de l’éditeur et de l’auteur.

Qu’il soit honoré, comme les Limousins savent le faire, pour cette montagne de lettres, ce passage alphabétique, fertile, qu’il nous a frayé à travers les langages. Son regard désormais traverse le temps, et avec nous porte  sans résignation cette géographie humaine qu’il a rendue lisible.

 

* Extrait de Entre joie(s) et colère(s) de René Rougerie

 

Article publié dans Jointure, "du côté de chez René Rougerie", La jointée éditeur.N °10 du 2ème trimestre 2011