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Michele Miccia — Il Ciclo dell’acqua / Le Cycle de l’eau (extrait)

présenté et traduit par Marilyne Bertoncini

"Michele Miccia est né en 1959 à Bernalda, en province de Matera. Il vit à Parme depuis plus de 50 ans. Quand, finalement, il est mort, il a commencé à écrire, pour son propre malheur et celui des autres, même si personne ne s’en est aperçu.

Le Cycle de l’eau complet se compose de 9 parties. On ignore si les autres résisteront. Sans parler des centaines d’épigrammes qu’il devra publier en plusieurs volumes, quand il sera mort une seconde fois."

Ce que la biographie,  confiée par le poète, ne dit pas, tant il est discret, c’est son parcours dans le monde, ce qui l’a amené à l’écriture.  Est-ce parce que Miccia est un philosophe devenu ébéniste qu'il construit une oeuvre poétique comme on fabrique un meuble ? Est-ce, ainsi qu’il le déclare quand on parle avec lui, le désir de « donner un corps » à sa poésie, en lui procurant le cadre scientifique du cycle naturel de l’eau ? Je l'ignore – mais le "Cycle de l'eau" dont nous vous proposons un extrait est bien né tout armé, conçu comme un projet toujours en cours, qui comprendra 9 livres.

Le premier se penche sur le berceau de l'eau, encore fangeuse, prisonnière de la terre germinale, en-deçà de sa conscience d'eau. Au fil des volumes, elle acquiert le sens de son individualité matérielle, puis prend conscience des autres, interagit avec eux, poursuit son parcours et devient l'eau de nos canalisations, témoin de la vie quotidienne, puis fleuve tourné vers la mer (Michele habite dans la Valpadane, où coule le Pô et ses affluents : l’imaginaire de l’eau y a tout son sens), et sa conscience fluide s'élargit au monde… Dans les prochains volumes, en gestation, la vie de l’eau se perdra dans la mer, avant d'accomplir l'acte ultime/premier du cycle, et de s'évaporer.

Cet ensemble  a été conçu par Michele Miccia comme "une cage" dit-il, pour donner un corps à ses poèmes. Ce beau corps liquide – dont les premiers livres ont été écrits de façon presque contemporaine, dans une forme contenue en "fragments" au nombre de 66 ou 90 - est soumis à une écriture dont l'apparente simplicité cache une redoutable construction, non dépourvue de la liberté de se créer des exceptions. Le poète s’y fait la voix de l'eau, et son regard (candide?) sur le monde, et ses contemporains : le point de vue scientifique adopté (le poète suit scrupuleusement le devenir de l'eau, et toutes les implications techniques qui sont liées à son emploi, domestique ou industriel, sa pollution, les méandres de son destin), se double ainsi d'une histoire plus personnelle, qui parle de l'humain, de son développement psychologique, du passage de l'inconscient à la conscience, des affects, amour ou haine – mais aussi des aspects plus physiologiques de l'existence  - les maladies, le vieillir et diminuer, avant de disparaître …  

Quoiqu'il s'en défende – un peu -  le poète ouvre aussi au lecteur la porte vers une réflexion plus métaphysique : à travers l'eau, c'est un cycle de renaissances qui se dessine, une démarche vers une spiritualité toute matérielle – l'un des grands paradoxes de ce travail – dans laquelle l'assomption de l'eau vers son destin de nuage et de pluie fait scintiller un espoir de survie, sous d'autres formes – qu'accomplit peut-être cette suite du "Ciclo dell'acqua", écrite dans le sentiment de l'urgence procurée par la claire perception de ce qu'on porte en soi, et qu'on craint de n'avoir le temps de réaliser.

 

*

Moi aussi j'ai l'eau qui m'arrive à domicile après

qu'elle ait perdu la pudeur

de sa naissance et la prudence

du premier sillon à creuser

dans la terre plus docile,

canalisée sous

les rues elle répudie son charme et les rives qui s'y

mirent, le plaisir de creuser un fond

qui la repose,

chaque eau a un compteur

qui la mesure et porte

le nom de son usager.

 

Anch’io ho la mia acqua che arriva a domicilio dopo

aver perso il pudore della

nascita e la prudenza

del primo solco da scavare

tra la terra più docile,

incanalata sotto

le strade ripudia la sua avvenenza e le rive che vi si

specchiano dentro, il piacere di scavarsi un fondale

che la riposi,

ogni acqua ha un contatore

che la misura e assume

il nome del suo utente.

 

*

Maintenant je restaure le moi,

je lève le rideau quand je parle,

face au miroir je suis de nouveau un sujet, une

présence qui fait tendance, biodiverse,

centre et périphérie, toujours connectée,  frontière

de moi-même,

je m'explique seule parce que

je suis juste, je m'auto-absous, la première à

tomber malade jusqu'à l'autodestruction en raison

de tant de sa vérité,

je suis tellement immergée dans mon

moi que je ne me semble pas moi.

 

Adesso ripristino l’io,

alzo il sipario quando parlo,

di fronte allo specchio sono di nuovo un soggetto, una

presenza che fa tendenza, biodiversa,

centro e periferia, sempre connessa, confine di me

stessa,

mi spiego da sola perché

io sono giusta, mi autoassolvo, la prima ad

ammalarsi fino all’autodistruzione per

tanta sua verità,

sono così immersa nel mio

io che non mi sembro io.

 

*

Je n'use pas la ponctuation

nul ne peut m'arrêter,

je ne veux pas être obscur

parce que je crois seulement

aux choses que je comprends, je ne suis

pas lyrique, ni même expérimental peut-être presque

normal ou bien tout ce que vous voulez

il suffit que je sois dans mon particulier, j'appartiens à la

race

des morts qui m'ont enseigné à  voir d'en haut,

c'est la distance qui me reste de la confusion

du nous.

 

Non uso la punteggiatura

nessuno mi può fermare,

non voglio essere oscuro

perché credo soltanto

alle cose che capisco, non

sono lirico, nemmeno sperimentale forse quasi

normale oppure tutto ciò che vi pare

basta che stia nel mio particolare, appartengo alla

razza

dei morti che mi hanno insegnato a vedere dall’alto,

è la distanza che mi resta dalla confusione

del noi.

les poèmes traduits et présentés ici sont tous
extraits de ce volume.

 

 

 

 

 

*

Si je suis concave je n'ai

pas de concavité qui me contienne,

si lumière une ombre me baillonne, je n'ai

nul contraire qui me fasse concurrence

me limite ou m'augmente,

mon nom va pour moi

dans le détroit de son orbite

pour éviter la

fracture pour sortir

des rangs, échapper à l'affrontement.

 

Se sono concavo non ho

un incavo che mi contenga,

se luce un'ombrami imbavaglia, non ho

un  contrario che mi faccia concorrenza

mi limiti o mi aumenti,

il mio nome va per

me nello stretto della sua orbita

ad evitare la

frattura per uscire

dai ranghi, sfuggire allo scontro.

 

*

 

J'adviens dans le présent, je n'entends pas ma

voix qui est déjà dans le futur

avec le regret du passé, je sui ici et maintenant et chaque

fait m'arrive délivré de son exotisme, sans

importation et franchissement des frontières ni déplacement de lieu

et d'espace, je ne suis pas épuisé par des marches forcées, par

des cols passés avec quarantaines imposées,

je suis à zéro kilomètre

de moi-même, vierge à jamais.

 

Avvengo nel tempo presente, non sento la mia

voce che sta già nel futuro

con il rimpianto del passato, sono qui e ora e ogni

fatto viene a me sgravato del suo esotico, senza

importazioni e sconfinamenti né spostamenti di luogo

e di spazio, non vengo sfibrata da marce forzate, da

valichi superati con quarantene imposte,

sono a zero chilometri

da me, per sempre vergine.

 

*

Je me pare, j'orne mon corps

de diamants que la chair a pêchés dans mon sang

plus vif , ma beauté est profonde

autant que ma peau, plus loin

elle est filtrée comme

une prédisposition au mensonge, je préfère la lumière

des astres qui se perd vers d'autres mondes pour

ne pas s'enamourer de la terre, ainsi chaque autre ciel

accroît l'ambre de mon corps où

mes amants voudraient se cacher.

 

Mi addobbo, allieto il corpo

con diamanti che la carne ha pescato nel mio sangue

più scaltro, la mia bellezza è profonda

quanto la mia pelle, oltre

viene filtrata come

una predisposizione a mentire, preferisco la luce

degli astri che si perde verso altri mondi per non

invaghirsi della terra, così ogni cielo in più

accresce l’ambra del mio corpo dove

i miei amanti vorrebbero annidarsi.