IMPROVISATIONS
IMPROVISATIONS SUR UN
CHIFFRAGE HARMONIQUE
IN MEMORIAM IGOR STRAVINSKI
I. ALLEGRO
5.
je saisis un banjo au bois poli
par le sens des rayons de l’être
et petit à petit je me revois parmi les
comètes musicales
je suis mon unique présent
je le répète et l’écho liquéfie la lune et
les mots
hier je suis l’avenir
répète mon image de l’au –delà
et les doigts irréels touchent l’horizon frémissant
du monde
il y a une tornade entre toi et moi
à travers laquelle je me cherche, une fleur –
oiseau du paradis à la main
parmi les visages sombres du passé
qui traversent mon sang à la vitesse de la lumière
pendant que les corps décapités
dansent la houle de l’autre côté du temps
je suis la mémoire négative du ciel
je voudrais pleurer mais le sanglot tombe écrasé
dans le halo entre deux anges
je voudrais crier mais les mots ont des sens de feu
qui se brisent au –delà des paroles
je voudrais te toucher mais ma main glisse
sur la surface convexe du temps
hier je suis en train d’arracher mille lotus
à ma parcelle d’avenir
roulant dans les rues allumées de guitares
hawaïennes électriques
le soldat reste assis sur une vieille bouée qui lui
sert de chaise
dans la baraque de la laveuse aux cuisses trouées
par les mouches
la lumière solidifiée fait craquer les murs
de planches sales
pendant qu’il lui caresse les seins mous
comme des poupées de son
jusqu’à ce que les objets en bois découpé
les cordes jetées sur les cocons de vers à soie
les anémones artificielles et les bas noirs
tachés de mazout
la clarinette moisissant sur de vieux journaux
tout cela se confonde avec un ragtime
pour onze instruments
il est tard et les chauves-souris traversent
“la structure nette el lapidaire des motifs
la linéarité sèche et tranchante
des interjections des cuivres
le mordant explosif des rythmes
et les fréquents déplacements des accents
les ellipses discursives
les âpres oppositions du timbre”
je saisis un banjo au cuir poli
Traduit en français par
Elena Brânduşa Steiciuc et Jean François Duclos
II. ANDANTE
1.
tout ce que tu cherches se cherche en même temps que toi
jusqu’à ce que les chemins se dépouillent
en cascades silencieuses
sur le côté lunaire de l’être
tout ce que tu vois se voit en même temps que toi
jusqu’à ce que la pluie de regards dessine
des sens robustes
avec un aveuglement si frais
tout ce que tu entends s’entend en même temps que toi
jusqu’à ce qu‘un tourbillon d’oreilles
te submerge la tête
meurtrie par le silence
tout ce que tu effleures s’effleure en même temps que toi
jusqu’à ce que la peau en fébrile concentration tactile
recouvre le sens des mots
de plaies luminescentes
tout ce que tu sens s’inhale en même temps que toi
jusqu’à ce qu’ une forêt de lilas
explose dans tes narines
attentives
Traduit en français par
Elena Brânduşa Steiciuc et Jean François Duclos
MENUET – TRIO
1.
le vieillard boit son café devant la machine de la bibliothèque
et se laisse ensuite éventrer par l’intimité quantique des feuilles
de son propre éloignement
il éparpille les cendres de sa cigarette dans une proposition sidérale
c’est un message qui aurait pu être
mais qui est dans le non- être
comment détacher les voyelles centrifuges
au filigrane de l’informatière
la machine à écrire et l’ombre
froissée de la voix
la sombre innocence de la courbe du mot “vie”
qui bientôt deviendra fruits pourris
les mains à la peau enroulée sur l’écran de la fin
assombries radioactivement dans les événements
seules comme la larve de l’image dans l’espace noir
lui seul avec la respiration de prédicat morbide
il viendra notre corps d’une langue morte
un milliardème de lettre
peut faire tourner le rêve en décomposition
de l’autre côté
le lendemain d’antan
Traduit en français par
Elena Brânduşa Steiciuc et Jean François Duclos
9.
ton rêve de bâtir une maison
dans une tornade de textes
lorsque les malaxeurs moulent des paysages de fièvre et d’or
-syntaxe et ruine
répetant le bruissement des feuilles en automne-
l’herbe ne supporte plus la fiction du cube
dans la ville aux bars cinématographes et aux sels de fer
le bonheur est un masque de la musique
vérticale stéréophonie de sang et d’esprit
une page ouverte entre n’importe quand
et la moitié du sablier dans le crâne des marionnettes
passent les voitures aucun ami
la solitude referme les nuits de tous les passants
tout comme une goutte de sang fermerait
le rayon d’une seconde
la musique sexe diaphane du temps
passe la nuit dans le filet de la raison
aux points variables
-chaudes empreintes dans un retour-
dansent dansent les pas accélèrent
le murmure de l’invisible
les mots sont des lésions noires
dans le son pur
qui répète le bruissement
des feuilles l’automne
c’est en vain que tu regardes derrière toi à travers
les buccins
ton front imprimé sur les phases de la lune
aucun ami rien que des passants
dans la tour cinétique suspendue à un nuage
d’insomnies aurifères
des vautours à la puissance du nombre d’or
des cités en or des réclames en or
des roses en or et pourtant
le pain en or a un goût de cendres
Traduit en français par
Elena Brânduşa Steiciuc et Jean François Duclos
IV PRESTO
1.
aujourd’hui je n’écris plus
la plume dilate brusquement
le ciel blanc entre les lettres
c’est la première nuit de printemps
un jazz-band d’anges illumine
les dimensions où je me réveille
comme du sommeil des objets paralisés dans une page
que fais-je parmi ces planètes
phonétiques de la mort
moi peut-être toi seulement avec
ton corps d’avant la naissance
ressuscité par le coeur répulsif
-comme si je transcrivais les entrailles des dieux
qui me lisent-
c’est la première nuit de printemps
une fièvre muette
et la souffrance précède le sens
c’est la première nuit et
un vide de lettres
me rapproche à une proposition
auprès des pierres
Traduit en français par
Elena Brânduşa Steiciuc et Jean François Duclos