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Invitation à une tasse de thé au jasmin, de Kunze

Avec la parution de cette anthologie personnelle de la poésie de Reiner Kunze, Cheyne offre (après Un jour sur cette Terre, 4e édition 2011, traduction Mireille Gansel) un livre de référence, opus qui convaincra sans peine ceux qui connaissent peu, pas ou pas assez le travail du poète allemand né en 1933 au sein d’une famille de mineurs de fond. Le parcours de Kunze est celui d’un poète/artiste/écrivain/intellectuel qui a vécu le 20e siècle en… Allemagne. D’ici, l’on peine parfois à imaginer ce que cela peut signifier. Pour un allemand. Kunze était parti pour devenir universitaire (il a étudié la philosophie) mais ses désaccords politiques l’ont obligés à s’éloigner des milieux universitaires. Il est alors devenu… aide mécanicien. Cela se passait comme cela dans l’Allemagne d’au-delà du mur. Devenu exclusivement écrivain au début des années 60 du siècle passé, Kunze s’engage clairement aux côtés du Printemps de Prague, ce qui lui vaut exclusion de la Chambre des écrivains, l’organisation de contrôle de l’écriture, sous égide du parti. Ceux que tout cela intéresse liront, au sujet d’un autre pays, cependant si proche, les beaux romans de Kadaré. Reine Kunze a quitté la RDA en 1977 et vit depuis cette date au bord du Danube. Sa poésie est mondialement reconnue, il a obtenu des prix prestigieux, comme le Büchner ou le Hölderlin. Son travail ne paraît pas uniquement chez Cheyne, trois autres de ses recueils ayant paru chez Calligrammes (traduction Mireille Gansel). On le comprendra, la parution de ce récent et somptueux volume n’est pas un mince événement poétique.

Une partie des poèmes sont réédités ici dans la traduction de Mireille Gansel. Cependant, la majeure partie de cette anthologie personnelle est traduite par Muriel Feuillet. Le volume bénéficie d’une très belle entrée en matière signée Jean-Pierre Dubost,  lequel met en lumière l’importance et la profondeur de la poésie de Kunze. Cela commence (ou presque) du reste par ceci : « Chez Reiner Kunze, tout résonne comme une mélodie à la fois forte et fugitive. Elle surgit d’une partition plus profonde, celle du temps qui nous écrit, du sentiment qui surgit et que le poème transmue en surprise. De manière incontestable, nous savons que cette poésie est d’une extrême justesse, que sa lecture est immédiatement convaincante et qu’il nous faut dire : ceci est de la poésie, ceci est une grande œuvre poétique. Que l’on en soit immédiatement persuadé, convaincu, n’a aucune dimension rhétorique. Parce qu’elle est son propre avènement, elle porte en elle toute la distance entre le pouvoir des mots et la faculté de nommer l’événement qui nous arrive, et qui nous arrive par l’événement du mot, du vers, du poème ». On ne saurait mieux dire et nos lecteurs habitués comprendront aisément pourquoi Recours au Poème se veut lieu de défense de la poésie de Reiner Kunze. Et Dubost d’insister plus loin, à juste titre, sur ce qui fait Poème en chaque poète authentique, profond comme dirait notre ami Paul Vermeulen : « Il ne fait pas, il traduit ce qui se fait en lui ». Et oui, nous serons en accord avec Dubost et avec la poésie de Kunze : « La poésie, dit le préfacier, est une toute petite flamme dans le vacarme du monde. Mais elle ne s’éteint jamais ». Jean-Pierre Dubost, sachez-le : vous êtes le bienvenu dans nos pages.

Car en effet la poésie de Kunze porte cette force :

 

Tout

est retouchable

 

sauf

 

le négatif

en nous

 

 

Cette beauté :

 

 

À travers les failles de la foi luit

le néant

 

Pourtant un simple caillou

devient chaud au contact

de la main

 

 

et oserais-je écrire, cette sagesse :

 

 

Je suis arrivé

 

Je vous ai laissés longtemps

sans nouvelles

 

J’ai avancé à tâtons

 

Mais je suis arrivé

 

Ici aussi, c’est mon pays

 

Je trouve déjà l’interrupteur

dans l’obscurité

 

 

Force, sagesse, beauté de la poésie de Kunze. Et cette profondeur :

 

Nous avons blessé la terre, elle reprend

ses merveilles

 

Nous, l’une des

merveilles