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Iraj Valipur, Zabouré Zane, femmes postmodernes d’Iran en 150 poèmes (1963–2013)

 

     Sous le titre Zabouré zane (littéralement « psaumes au féminin »),  voici un essai très fouillé sur  la poésie féminine postmoderne d’Iran. L’auteur en est l’anthropologue Iraj Valipour qui nous propose, ici, d’entrer dans l’univers de ces poètes de la contre-culture iranienne que l’on connaît essentiellement par Internet et qui subissent régulièrement – on s’en doute – les foudres des ayatollahs de tout poil dans une société demeurée foncièrement patriarcale.

     Poésie « postmoderne » ? Oui, par réaction à la « poésie nouvelle » qui a certes cassé les codes classiques de l’écriture (notamment le distique et la métrique) mais qui se cantonne, en réalité, dans un certain conformisme. A contrario, les « postmodernes » ont choisi de s’exprimer dans les cadres ancestraux de la prosodie et de la métrique, mais pour mieux les détourner.  « Elles chaussent les modèles jugés désuets de poésie en les revitalisant avec force, fracas et humour », note Iraj Valipour. C’est le cas notamment du ghazal (littéralement « parole amoureuse »), genre littéraire qui a connu son heure de gloire en Perse aux 13e et 14e siècles, parfois proche de la mystique, mais qui a évolué, au fil du temps, vers des formes plus lyriques ou plus satiriques.

     Les poétesses postmodernes d’Iran en font leur miel, puisant dans la réalité sociale et culturelle qui les environne, sans dédaigner pour autant la tradition orale ou mystique, en particulier soufie. L’auteur de cet essai cite notamment le cas de Sepideh Jodeyri (38 ans aujourd’hui) qui initia ce « passage de la poésie contemporaine à une poésie à contre-courant ». Il ajoute à son propos qu’elle veut « redonner saveur à Mowlânâ (le maître soufi Rumi)  en le réécrivant à l’aune du courant qui incarne au mieux sa mystique : le blues des anciens esclaves de la Louisiane ». Iraj Valipour en arrive à parler d’elle comme d’une « midinette transcendentale (…) qui régénère le langage et démythifie le ciel ».

     Dans cette mouvance on trouve aussi aujourd’hui Shimâ Shâsâvârân-Ahmadi (27 ans) qui peut écrire dans ses poèmes : « Que de piqûres  reçues mais pas d’autres issues/piquée pour piquée vipère suis devenue ». Ou encore ceci : « En moi la vie bouillonne tant mon sein de secrets recèle/dis moi l’initié le non-initié sait-on à quoi cela tient ».

     Au total, une trentaine de femmes sont présentés dans ce livre, toutes âgées de 20 à 40 ans. Pour enrichir son propos, l’auteur de l’essai a fait appel à deux doctorantes, désignées sous deux pseudonymes (Gita et Avaz), avec qui il engage un dialogue fictif et polémique sur la poésie postmoderne. C’est la part « romancée » de cet ouvrage très érudit, sans doute un peu touffu, multipliant les digressions et les références de toute nature (au point qu’on a tendance, parfois, à perdre le fil) mais qui ravira toux ceux qui savent la grande richesse du terreau poétique iranien. Des femmes nous le rappellent aujourd’hui en s’exprimant « sous le manteau » et en revendiquant une autre place pour la femme dans leur pays. « Prends dans tes bras ton unique bébé souris/secoue-moi de la malédiction d’être une femme/s’armant de patience face aux jours et aux nuits », écrit Elhâm Mizbân, jeune femmes iranienne de 27 ans.