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Isabelle Lagny, Le sillon des jours

UNE SOURIANTE MÉLANCOLIE

 

 

LA voix qui parle ici est, tour à tour, légère et grave, simple et complexe, lucide et rêveuse. Elle s’insinue en vous et vous prend sans crier gare. Elle est là, vous l’entendez. Elle dit d’abord la fusion des corps et des éléments, l’éblouissement du désir et la perte de soi (« Et j’ai tout oublié/ sauf ce désir qui rampait »). Elle dit qu’elle va raconter : « C’était juillet » Le sillon des jours est ce récit.

        Construit comme un journal ou un album, ce livre croise les épiphanies et les vacillements de l’amour (« pour lui / pour elle/ pour lui »), l’émerveillement des souvenirs d’enfance, la beauté du monde et sa violence. D’où ces images en écho où la légèreté cristalline se heurte à la dureté de vivre :

 

                Nous allons ensemble désormais
                couverts de la poussière et du relent des journées chaudes
                avec, dans mon sac à main
                au milieu du désert
                un jouet d’enfant
                et le peigne
                pour le moment des retrouvailles

 

        Car la vie est dure, oui, et si cette écriture est portée par l’illumination des images, c’est peut-être l’humour, donc la distance et sa souriante mélancolie qui la traverse, qui la rend si convaincante :

 

                J’ai écrit le mot « lucidité »
                avec un stylo neuf
                j’ai voulu le mettre en tête
                comme une locomotive
                comme une mère cane avec ses petits

                Il était là, posé soudainement sur la table
                il me tirait
                m’invitait au voyage
                alors que démunie
                je cherchais à saisir
                dans le matin
                le plus frêle rayon de joie

 

        Avec ce « frêle rayon de soleil », il s’agit bien ici de résister au malheur, à la mort, à la folie des hommes, de s’obstiner à planter dans le « sillon des jours » ces quelques graines d’espoir et de lumière qui font soudain luire l’existence, là-bas, comme sur une autre rive, et qu’on appelle des poèmes :

De grands cyprès
plantés comme des couteaux
habillent la campagne

De la neige sur la rive ?
La rive…
C’et au-delà de la fenêtre du train