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J‑D Suzat-Plessy, Collège

Ce premier recueil de Jérôme-David Suzat-Plessy est une parfaite réussite. Moins livre de la chair que de sa fragilité, il donne à l’amour un contrepoint subtilement tragique et lyrique qui le relie à l’émotion la plus forte et la plus ténue :

 

 J’efface la passion
Je la donne à la raison
Crucifiée dans l’orage
Montagne noire
Et fumée d’eau
(…)
Et pourtant comme un fantôme électrique quelque chose subsiste des éclairs amoureux.

Tout est là, à l’extrême pointe des sensations touchantes et abandonnées. Dès lors la solitude se confond parfois avec les grandes solitudes naturelles où il n’y a de place que pour l’image de la passion. Allant des prairies amoureuses où il est difficile, écrit le poète, de « suivre une seule flèche dans la pluralité des contraintes parallèles » au désert affectif, le chant premier demeure, venu du plus profond de son auteur sans que pour autant soit proposée une confession intime.

Dans un tel exercice de pudeur, la sobriété du texte, son intelligence sensible et sa musicalité renforcent la subtilité d’une forme d’innocence. Elle fait aborder le sentiment amoureux comme une ivresse mais aussi une épreuve de l’aube. D’où le titre « Collège » qui peut autant renvoyer à l’expérience primitive de l’amour comme à l’idée d’un partage là où l’auteur évite avec élégance de parler à la place des autres.

Jérôme-David Suzat-Plessy prouve (s’il en était besoin) que le sentiment est une expérience individuelle mais l’auteur évoque comment il tente de résoudre à sa manière et à sa mesure la question essentielle : « Et vous, vous savez ce qu’il en est de l’amour ? ». Traversant le neutre de la passion, arrachés à l’antériorité de son écho, les mots - quoique lucides - refusent l’affût de la soustraction. Preuve que l’on perd toujours la mémoire. Par elle le temps passe le temps. Les ombres y rebondissent. On croit pouvoir lui donner des ordres. Mais les fantômes ne changent pas. Ils se chargent. Ils ne prétendent à rien. Ils disent à peine : « Viens par là ». Bref ils font mal. Que faire alors ? Sinon créer un espace poétique  qui reste un appel à l’incendie pour qu’il reprenne puisque lorsqu’il est noyé on l’espère encore :

 

À la démesure des amours
J’écris les bras tendus
Les ongles pénétrant le jour
Où nous serons à nouveau nu.

Ecrire revient donc à appeler la tempête. Cause déjà perdue ou quête de perdition, qu’importe.  Rien ne pourra arrêter le poète d’être convaincu (salutairement) que l’amour reste le seul domaine où l’esprit et la matière peuvent se manifester dans une liberté. Elle n’exclut pas la violence de ce qui peut s’opposer à son rêve. Mais pour le poète il s’agit toujours du seul jeu qui en vaille la chandelle. La virtuosité lyrique et rythmique du livre lui donne sa juste force. Le désir s’y engouffre et en prend possession.