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Jack Keguenne, Évidence intermédiaire

Imaginez une terre qui ne tourne pas rond et sur cette terre un acrobate qui voltige et ne retombe pas vraiment sur soi. Vous le verrez pourtant se relever de son ombre : c’est Jack Keguenne.

Entendons-nous, ce fil-de-fériste ne va pas longuement saluer. Il repart, fait la roue, recommence. Certes, sa fantaisie n’est pas lugubre. Elle n’est pas pour autant comique, tant s’en faut. Au hasard de ses virevoltes, le poète va vous planter des petites vérités dans l’œil et dans la conscience; de ces petites vérités aphoristiques qui, finement vous envoient au large et à la profondeur : douter, écrit-il par exemple (p. 34) ne constitue pas le propre des incendies. Vlan ! Vous recevez cela et vous pouvez demeurer en arrêt, croire au feu ou n’y pas croire, tandis que le poète, lui, s’envole déjà plus loin, comme une brindille, sans s’éteindre.

Quelle étrange joie, dans ce recueil. Quelle étourdissante gourmandise !

Jack Keguenne, et on lui en saura gré, structure ses acrobaties. Son livre est charpenté ; il se donne en six sections, dont au moins l’une d’elles fut écrite à Montréal. Voici donc, plus d’une fois, les écureuils, à l’envers, australiens ou chinois, comme l’énonce un poème (p.67). Pourquoi pas ? N’est-ce pas le destin du voyageur, du poète ou de son lecteur de progresser comme des rongeurs sans trop savoir où les mènent les voyages, leurs appétits, leurs grimpettes, leurs petits bonds et leurs dents longues? En attendant, la charpente de ce fin recueil est une main tendue, une sorte de garde-fou dans les voltiges.

Car au fond, à bien y réfléchir, l’étourdissement, ici, ne vient pas d’un quelconque exotisme, ou des ellipses que le poète manie avec brio, ou de ses métaphores souvent neuves, mais bien plutôt d’une lucidité souveraine qui plonge le concret dans la métaphysique et réduit celle-ci à néant :

 

            monter
            se mettre en position de n’être envahi que par le ciel
            ou s’affilier à la brume (p.85)
 

Et dans ce monde où espérer n’affranchit pas (p. 71), Keguenne poursuit sa course, déniche ici une splendeur (l’étonnement a des souplesses de reptile aux aguets – p. 43), là un constat proche de l’amertume (nous n’existons que pour nous manifester / et souvent seulement / là où le chagrin s’égare // immatriculer les oublis – p. 41). « Proche », oui, car jamais le poète ne s’attarde. L’évidence (et le titre le dit) ne sera jamais installée. L’aventure vaut pour elle-même. C’est une façon de rendre la vie supportable et le poème nécessaire.