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Jacques Demarcq, d’ubu fait dure loupe

Dubuffet, c’est déjà du brut de brut ; mais Dubuffet dans une version Jacques Demarcq, c’est encore plus brut que le brut de brut.  « Plus il fait clair, moins on y voit », soutenait  Jean Dubuffet . Jacques Demarcq (un autre J .D, tout le monde l’a remarqué) le prouve. Ca finit donc par se voir qu’on ne voit rien ou  qu’on ne croit rien voir dans ce drôle d’opuscule.  Sous l’apparence d’un enfantillage, il est cependant longuement élaboré et mérite une traduction accessible. Objet de papier, il n’a nul besoin de pagination (paginer le délire serait une insulte). Explorer ce même délire s’avère complexe, parce qu’il faut bien commencer par quelque chose pour finir par quelque chose qui soit autre chose… pour que la notule soit lisible de bout en bout.

Le recueil artisanal agrafé propose deux papiers de grammage, teinte et texture différents. L’intérieur  en papier parchemin bis secrète un coq en filigrane. On entre dans  trois pages de graphies/collages à l’état pur.

 

Jacques DEMARCQ, D’Ubu fait dure loupe, Editions Ti Press, MMXVI, juillet 2016

Jacques DEMARCQ, D’Ubu fait dure loupe, Éditions Ti Press, MMXVI, juillet 2016

Tout commence dans le jardin où grand-mère  (« iagranmer ») ramasse des poireaux et des navets pour la soupe. Cette aventure potagère se passe au printemps. Dans un cerisier, un  sale piaf bouzille tout, avant de faire le tour des cassis (« dékasis ») et des groseilles et des framboises (« dégrosey et défranboaz »).  Ca fera ça de moins en confiture ! Sans compter que le « lance-pierre (« lanspier ») d’un  copain «inkopin » permettra de rôtir les zozios qui auront été dégommés. Puis un jeudi sans école, le même «kopin»  sort un cahier de femmes nues (« léfamnu »), celui qu’on se passe sous les tables (« soulétabl »). En  surgissent des femmes  alanguies sur plusieurs doubles-pages (solitaires ou en compagnie oiselière de perroquet ou cygne). Tout ça pour conduire à une Vénus en compagnie de Cupidon (ma préférée). Un angelot fécondateur rappelle le saint-esprit (« lanjélo pandanstan, il ébéni duvatikan, bonka téchist ». Il vous peint Léda levant la cuisse. Cette ultime dame  est en compagnie d’angelots jumeaux.  En fait, certains tableaux de maîtres (Picasso, Michel-Ange, Matisse, Courbet) trouvent dans ces pages une traduction dubuffesque.  Ces Dubuffetwomen ont un corps décomposé en zones unies ou striées du traditionnel bleu-blanc-rouge,  en forme et orientations tous azimuts. Femmes puzzles aux formes rebondies et aux organes composites, elles exhibent seins, muscles nombrilesques ou avant-brasdesques parfois hantées d’écrits culturels.

Cet « Ubu » Dubuffet  « fait » quelques entourloupes (« dure loupe »). Nul ne pourra critiquer son aspect surprenant, tant les exigences de traduction du son en graphe sont redoutables. (Nous l’avons carrément vérifié avec des spécialistes amusés lors d’une exposition de tegamis de jeunes autistes). Bref, ce texte est un long rébus syllabico-sonore qu’il n’est pas nécessaire de vouloir comprendre. L’incompréhensible nait justement des limites de la compréhension. Voila qui pose le problème de cette notule. Doit-elle être écrite en jargon, en mot-valises ou ne pas être écrite.  De fait, ce présent écrit est un gag. Ce drôle de recueil n’est pas encore paru : « Juste un tiré à part d'inédit !! Un truc qu'existe pas !!! »,  précise l’auteur.  La commentatrice, ravie de cet imbroglio et de l’inutilité de son analyse, s’interroge : un tiré à part ira-t-il vraiment nulle part ? un « inédit » sera-t-il dit  un jour ou l’autre? » Bref,  l’inexistence est-elle condamnée à le rester ?

 

En annexe, dictionnaire de traduction du Demarcquien en français :
Sétin naxésoar néséséralar kinper oké =  c’est un accessoire nécessaire à l’art qu’un perroquet
Obordinlak = au bord d’un lac
Pourfer dukoloryaj = pour faire du coloriage
jrekopi pourfer dukoloryaj = je recopie pour faire du coloriage.