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J’ai croisé l’homme sans ombre

 

J’ai croisé l’homme sans ombre
sans ombre sur le sol poussiéreux.
Il avance sans laisser de traces.
Ses gestes brûlent l’air vicié. Il parle,
peu, mais, lui, d’une parole de feu qui
détruit et restaure ; qui cogne
le silence et promet l’impossible ;
qui se moque de ce qu’il voit,
car il connaît les cœurs
et le sang et la chair,
les chapelets de promesses enfouies dans le sable,
les folies meurtrières, les sacrilèges depuis
la première aube, car il vient de l’origine,
il en a gardé la lumière, et le rythme
de sa marche est celui d’un temps où
l’on ne comptait pas le temps.

J’ai croisé l’homme sans ombre
sans ombre intérieure. L’homme
qui est ce qu’il dit
qui est ce qu’il fait
qui fait ce qu’il dit.
Il avance et ne laisse pas de traces
car il n’est d’aucune trace connue, lui
qui était au futur et qui est venu,
lui qui est venu et demeure au futur.

J’ai croisé l’homme sans ombre.
A son passage, je me suis retourné
— et j’ai cru.

 

extrait de L’attente de la tour, publication septembre 2013, éditions Ad Solem