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J’ai été cette journaliste de guerre… (5/9)

 

Les mots sont privés du sens par ici,
Ils vont et viennent par bribes ;
Assouan aux arbres en fleurs, instantanés du vert turquoise
De la rivière, du vert mosquée , satin de la rivière
Au coucher du soleil, des blocs de pierre fondus en deux,
Des ouvriers qui amènent des pierres
Et construisent  ensuite des temples, des reliefs gravés d’une Reine
Atteinte d’éléphantiasis,
La Reine Hatshepsout pour qui son amant sculptait des pierres,
D’immenses obélisques sur cette terre aride, ce soleil violent
Qui donne naissance à toutes choses, et puis la sueur, sueur froide
Et les chiens du désert, torturés par la faim et la colère, ils sont
Les âmes ressuscitées des ouvriers qui vivaient  et mouraient pour la
Reine et pour le soleil, et pour cette terre amidonnée qui donne la vie
Avant de la reprendre,  et les jours qui renvoient les miroirs, réfraction
De la pluie froide. Mirage  de l’eau qui peut coûter la vie,
ou le prix d’une pellicule Kodak et d’un verre d’eau,
route miroitante qui ne mène nulle part ou à un panneau
mal éclairé  annonçant une auberge graisseuse,
où  les enfants arabes affamés vendent des biscuits à cinquante piastres,
et puis demandent des cigarettes, image de l’Astor square à New York
où ils vendent  des vêtements, des gâteaux puis mendient une cigarette,
la vie qui vaut un jeton de métro ici,
simples mirages de survie,
mirages de cet aqua-sable lunaire et puis le soleil, les blocs
de pierre de civilisations disparues qui ont grandi et ont brillé
comme le soleil et sont tombés dans l’empire Kodak, dans l’oubli
de la colonisation occidentale,
les maîtres-architectes  qui ont gravé leur propre vie dans ces pierres
qui ne nous raconteront pas cette histoire, avec leurs couleurs bâtardes
et leurs images de gloire, images d’Ankhs noirs
et de la sagesse du Troisième Œil, voilà les villes de la boue et de la mort,
les villes qui ne vous répondent pas si vous ne les secouez pour arracher leur cœur,
qui n’est qu’un mirage après tout, et une oasis pleine d’eau irréelle,
un faux descendant d’Isis ; L’œil- qui- protège observe tes mouvements,
tu bouges dansant, avec grâce comme une danseuse orientale qui
préconise la foi, chatoyante, toujours chatoyante dans l’air, cette chaleur,
ce voile provoquant retombe sur des corps et des visages puis s’évapore dans l’air,
air chaud, soleil hideux, ciel bleu turquoise, les chacals,
ou peut-être les dieux de la route, ces minces divinités marchent le long
de la route qui demeure jaunâtre, blanche et frêle,
avec les rythmes des tablas
et ceux des très petits tambours, la route apparaît et disparaît
par bribes, et voilà l’air qu’on ne respire pas, la poussière
qu’on avale, l’eau  absente que l’on ne peut pas boire, les pilules qui remplaceront
la nourriture au siècle prochain, le Diable déguisé en Dieu, l’odeur de viande séchée et
de pain soufflé, les lésions de peau répandues sur les cadavres,
des désirs momifiés qui traversent les siècles, la vie s ‘en va,
et le faible espoir :
dans la prochaine civilisation la vie serait meilleure,
elle doit l’être.
Mais le temps s’effiloche et continue, entre dans le nouveau siècle,
En communion, une fois que tu as déchiffré tout cela, le reste devient facile,
La façon dont  le Caire a été construit,
Edfou et Comombo,
En sortant du ventre du Dieu Crocodile et du
Dieu de la fertilité, Min,  qui ont  rendu
Tout ce qu’a été sacrifié sur l’autel de la faim.

 

Traduit par Geneviève Huttin