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James Noël, “Cheval de feu”

Ce volume du poète et acteur haïtien peut difficilement ne pas faire impression. Il a une force puisée dans les vécus violents et les révoltes morales et physiques de son pays d’origine, et il a le sens de la parole publique, celle qui parle fort au milieu de la place, au milieu de la rue (comme dansent ces danseurs de l’image de couverture, sur les gravats d’une rue d’après le tremblement de terre, sans doute).

La ville, l’amour, le tremblement de terre, les amis et la famille, le moi à vif, le scandale de la réalité haïtienne, les liens heureux noués, inversement, avec le peuple kanak, les murs (qui murent et qui parfois s’écroulent) sont parmi les thèmes les plus importants, récurrents ou successifs, qui nourrissent ici la poésie de James Noël.

Le volume regroupe six ensembles de poèmes : « Poèmes à double tranchant », « Seul le baiser pour muselière », « Kana sutra », « Toutes les villes qui se trompent de trottoirs », « Des liasses d’empreintes » et « La migration des murs ».

Il s’ouvre avec un poème liminaire de Frank Etienne, une « invitation » qui fait l’effet d’une annonce de crieur public, à la fois éloge poétique et réclame de rue sonore : mi-premier, mi-second degré, il nous « invite à entrer dans l’univers fabuleux de James NOËL », univers « à la fois esthétique et idéologique, à résonnance individuelle et collective. »

Dans le premier recueil, la condition de l’homme d’un Tiers Monde ouvert sur le monde mais misérable semble se résumer au passage en ce vers d’interrogation tragique : « vivrai-je d’envie comme on en meurt ». Le vers manifeste ce goût esthétique pour la flamboyance facile mais finalement profonde du jeu de mot qui est aussi (comme le dit le titre d’un autre poème, dédié à un journaliste assassiné) un « jeu de mo(r)t ». Dans toute la poétique de James Noël, on sent à l’œuvre une volonté de distorsion des évidences linguistiques pour exprimer la révolte de l’intelligence contre la fatalité, la violence et l’ironie amère du monde. Cette violence passe dans le vocabulaire et les images, mais il s’agit bien, ici, de haute poésie, et non d’un simple « crache-ta-haine » performatif ; la profondeur culturelle et le questionnement réflexif sont aux sources mêmes de l’impulsion poétique ; le questionnement réflexif a souvent pour objet la langue elle-même, mais au double sens des mots et de l’organe. La chose est sensible (on ne peut mieux dire !) par exemple dans ce poème intitulé « Monde des profondeurs » :

 

Voici la lumière/ en rature/ à l’intérieur d’un mot/ le seul autorisé à procéder/ à ma toute première vivisection/ d’animal inapprivoisable/ imprévisible

Voici le monde, les forêts/ les déserts intérieurs/ au mitan d’un arbre creux/ voici les mots/ qui creusent ma langue/ de sa toute bègue et hurlante profondeur  (p. 42-43).

 

La révolte politique, elle, qui déclare, par exemple : « l’ONU nous met à poils », et qui remarque avec amertume que « je ne sais ni lire ni écrire, c’est pourtant vous qui m’en voulez », se synthétise en image de la révolte par et pour le langage, condition de l’expression démocratique : « en guise de couteau je vous parle avec un crayon entre les dents » (p. 49).