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Janine Mitaud, Soleil multiplié

A travers cette anthologie (1958-1969), les éditions Rougerie nous proposent de découvrir l’œuvre de Janine Mitaud, saluée par Seghers et René Char en son temps. La préface de Barbara Carnerro nous donne quelques éléments biographiques utiles pour comprendre l’œuvre : la mort prématurée des parents lorsqu’elle a quatorze ans, la seconde guerre mondiale, son goût pour les mots hérité de son père puis ses études à l’école normale et son engagement politique contre le nazisme et le franquisme dont certains de ses premiers textes se font l’écho.

Janine Mitard, Soleil multiplié, Rougerie, 2017

Janine Mitaud, Soleil multiplié, Rougerie, 2017

Ce qui domine dans ce recueil est l’enracinement à la terre, à ses racines paysannes ou agricoles qui ensemencent le mot qui devient ainsi une promesse de germe ou de floraison. Le texte est labouré, sillon après sillon, avec amour et patience :

Pense au labour me dit l’été
A la semence
Rêve au travail secret que les épis
Couronnent

Cette sève qui coule dans ses veines est ainsi la source de toutes les promesses, de naissance et de créations à venir…Cette « vérité volupté de vivre ». Mais après ce « soleil de blé » vient le temps de la colère et du déchirement. La mort de l’enfant confronte la parole à sa part d’ombre et non plus de germination :

La parole affronte la mort Le Verbe crie
Son besoin d’une terre et d’un magnificat
Mais encore une fois l’apaisement viendra de la nature, de l’enracinement dans les saisons et les champs :
Encor l’enfance Non la terre
        Mère
                Chair
Puis-je nier mes racines
Dans la profondeur grasse où dorment bêtes et cailloux

Une sorte de douceur vespérale se dessine où « chaque jour est un choix. Vivre ne jamais s’habituer ». L’éternité est pour elle cette épiphanie de bleu dans le soulèvement des blés. Cette voie humble et légère voyage ains« de l’histoire à l’image d’une création du monde. Sans venir à bout du fruit, sans choisir : de la soif sensorielle allègre au défi mystique. » La question demeure ainsi toujours ouverte et permet au poème de se déployer en une sorte d’aube toujours renouvelée. Le poème se faisant alors délivrance contre l’absence et la blessure devient une « soif créatrice de sources » où les mots sont des silex, source d’embrasements et de défrichements.

Ainsi sous l’apparente simplicité de ces textes, se dissimule une profondeur cachée que Janine Mitaud, sans doute injustement oubliée, nous demande de traverser comme un écran pour atteindre la profondeur du mystère en son cri :

L’écran

Pour connaître et survivre
Tu as imaginé des mondes
Ressuscité des dieux
Et te voici
Abasourdi
Par la beauté
Des mots et des musiques
Par la présence de la terre
Vienne ton dernier jour
Applique l’oreille au mystère
Des violences créatrices
Passe l’écran
Le seuil de sang
Saisis le cri