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Japon : « Poèmes et pensées en archipel »

Le Japon, matière poétique. Le numéro 17 de la revue « Etats provisoires du poème » est consacré au Pays du soleil levant. La revue poursuit ainsi son voyage par les textes. Après les Caraïbes et la Grèce, voici donc le Japon.
On trouve, dans ce numéro, différents angles d’attaque sur le sujet. Qu’il s’agisse de l’art des masques du Nô ou encore de la pratique de l’arc. Mais la plus large place est accordée à la poésie avec, notamment, des textes inédits d’Alain Jouffroy, Tanikawa Shuntarô et Ooka Makoto (traduit par Dominique Palmé)

C’est Zeno Bianu, familier des poétiques orientales et auteur de deux anthologies de haïkus avec Corinne Atlan qui ouvre la revue par des « variations sur quelques haïkus japonais contemporains ». Il cite ainsi ce poème d’hôpital de Sumitaku Kenshin : « Quand je me lève/il titube- / le ciel étoilé ». Et en fait le commentaire suivant : « Qui titube/le ciel tourneboulé/ou le poète/sens dessus/dessous/les étoiles dansent/comme des derviches ». Au haïku de Usami Gyamoku (« Midi d’automne - /dans la ruche/le bruit du pas des abeilles »), il ajoute son regard personnel : « Imaginez un peu/le pas d’une abeille/au bord du silence/sa résonance/dans l’infinitésimal/un monde/d’absolue perception ». Mais, posons-nous la question : les haïkus ont-ils vraiment besoin d’être commentés de cette manière? Autrement dit, fabriquer un poème à partir d’un haïku n’est-ce pas une bien drôle d’idée ?

La revue a opportunément fait appel au Brestois Alain Kervern, essayiste, poète, traducteur du Grand Almanach poétique japonais (éditions Folle Avoine), pour évoquer les problèmes liés à la traduction des haïkus japonais. Le Brestois en connaît un rayon sur le sujet étant lui-même japonisant.

Japon, poèmes et pensées en archipel, numéro 17 de la revue « Etats provisoires du poème », édition Théâtre National Populaire et Cheyne éditeur, 143 pages, 22 euros.

Beaucoup de ce qui fait le charme d’un poème japonais, écrit-il, disparaît dans une autre langue à cause notamment du changement de système d’écriture. L’on passe en effet d’une écriture où se combinent deux systèmes phonétiques (hiragana et katakana) et un ensemble d’idéogrammes (kanji) venus de Chine, à une écriture fonctionnelle mais décharnée, puisqu’il s’agit d’un simple système de transcription phonétique, l’alphabet latin ». Il ajoute, plus loin : « Traduire des haïkus japonais, c’est aussi transmettre dans une autre langue les allusions littéraires qui y sont cachées. Connues de tous au Japon, elles appartiennent à l’immense corpus culturel qui depuis plusieurs siècles constitue le référentiel obligé où puisent tous les poètes.

Prenant appui sur des traductions de haïkus de Bashô, Chôgo ou Saïgyô, Alain Kervern démontre bien la complexité de l’approche et conclut son analyse par ces mots :

Si le travail de traduction est peut-être ce que Valéry Larbaud appelait une « école de vertu », celui d’Armand Robin, en quête de vérité de langue en langue, n’était-il pas plutôt la recherche d’une délivrance ? 

Parmi les autres notables contributions de la revue, on retiendra l’analyse que fait le professeur Michel Lioure du regard de Paul Claudel sur la culture japonaise. Claudel fut ambassadeur à Tokyo et 1921 à 1927. Très sensible à l’expression poétique japonaise (et notamment au haïku), il est l’auteur de Cent phrases pour un éventail. Le grand écrivain français avait, en particulier, vu juste à propos du « surnaturel » au Japon qui n’était, à ses yeux, nullement autre chose que la nature. « Il est littéralement la surnature », estimait-il. Michel Lioure note que, pour Claudel, «gestes et rites expriment un respect envers la nature, arbre ou animal, et manifestent un sens du sacré pressenti jusque dans le profane et le familier ». Voilà des affirmations qui, en ces temps (écologiquement) difficiles, méritent d’être prises en considération.