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Je compte les écorces de mes mots de Sylvie‑E Saliceti

Les poèmes de Sylvie-E. Saliceti sont nés au bord de fosses creusées dans une sablière et rebouchées sur les corps des Juifs fusillés là. Sylvie-E. Saliceti l’explique dans un magnifique et terrible avant-propos : « Je me dis qu’ici les morts attendent. Un petit signe. N’importe lequel. […] Les arbres ont poussé sur les corps. Ni prénom. Ni date. Pas même un écriteau. » La nature qui a repris possession de la sablière semble tour à tour indifférente et à l’écoute.

Les clochettes de la fleur
ne tintent plus –
la forêt écoute les morts
 

Comme Antigone, Sylvie-E. Saliceti ne supporte pas que les morts n’aient pas eu droit à une sépulture. Comme Scholastique Mukasonga, elle a écrit des textes-sépultures. Les nouvelles du recueil intitulé L’Iguifou, comme les deux livres précédents de Scholastique Mukasonga, sont des tombeaux de papier, les linceuls dont l’auteure n’a pas pu parer les siens, morts au Rawanda. Sylvie-E. Saliceti a cherché des « mots-linceuls ». Pour ce faire, elle a d’abord écouté.

Plus petite qu’une paupière
d’oiseau – ma bouche
se tait pour écouter
 

Et dans un autre poème :
 

alors je me suis assise
près d’eux – les imprononcés dont
les prénoms dormaient
sous nos chaussures
les imprononcés
sous les arbres

 

Puis les mots sont venus : ces poèmes et les phrases de quelques témoins (des phrases trouvées dans les archives ou recueillies auprès de personnes encore en vie). Dans l’un de ses textes, Sylvie-E. Saliceti convoque une femme qui a écrit aussi après la Shoah :

 

comme Rose Ausländer
j’ai compté les étoiles des mots –
elles étaient enveloppées d’écorces
et gisaient par terre
dans le bois

 

Ceux qui ont lu Rose Ausländer savent que la poésie peut aider à survivre. La nature a été l’autre soutien de Rose Ausländer : les arbres et la lumière. Les souvenirs aussi : ceux d’une enfance heureuse dans la communauté des hassidim – les Juifs d’Europe de l’Est.

 

Il y a de cela bien des anniversaires
quand la terre était encore ronde
(pas anguleuse comme maintenant)
 

(extrait de Enfance I)
 

Le recueil de Sylvie-E. Saliceti nous invite à relire ces poèmes.