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Je suis passé parmi vous, de Michel Monnereau

 

 

 

Michel Monnereau : son nom d’entrée donne le ton. Entre l’euphonie qui le fait parent à peine lointain de la divine Marilyn et les sonorités finales qui bordent les noms de famille sur la côte ouest, en bord d’océan, on ne peut que partir d’une complicité qui ne se dément pas à la lecture.

Il faudrait y ajouter sans doute l’imprégnation des étals de marchés de quartiers à Paris, le sens des répliques qu’on entend (qu’on entendait ?)  avec l’appel d’une autre histoire, toujours à faire glisser sous les mots comme dans la chanson de Gérard Lenorman « à la porte d'Italie, On commence le voyage/
Un camion et une nuit/ Et ce sont les lointains rivages/
Nous ne sommes pas des manchots… ».

Michel Monnereau n’est vraiment pas un manchot…
Je suis passé parmi vous est bien le recueil le plus abouti de tout cela que le poète a su ramasser dans le cours de son histoire personnelle, et sa production littéraire à tiroirs qui ne compte pas les publications (poésie, romans, scène…)

On y trouve, en filigrane, cet humour salutaire (meilleur antidote des postures sentencieuses) qui traîne toujours au coin des pages. Cette tendresse aussi posée sur les effrois et les nostalgies auxquels la vie confronte les tâches obstinées du quotidien. Et encore, ces accents de douce-amère légende urbaine qui viennent battre contre les vertiges de la disparition.

 

Car rien ne s’établit ici en longueur. Les instants s’échappent,
filent entre les doigts, jouent aux ballons à hélium.

Mais rien, non plus, ici ne renonce à l’effort de fabriquer une pièce à conviction, dresser un « constat à l’amiable », réveiller les dimanches avec « l’enfance du bonheur dans les squares ».

Dans sa cinémathèque intime où il nous tient la main pour nous montrer les morceaux choisis de sa vie de « passager », Michel Monnereau ajuste à chaque occasion la répartie qui fait écho au manque, cet « Opéra des défaites/juste après les soleils couronnés ». Et s’il agit ainsi pour notre plus grand plaisir, c’est sans doute pour entrer dans une temporalité différente, loger à la façon d’un lézard dans la complicité de la fente d’un mur.

Une poétique se dessine alors. Celle qui lui donne ses raisons d’écrire.

 

« Je n’abandonne pas ; il suffirait d’une étincelle, d’une faille dans l’instant ou d’un violon au meilleur de la nuit.
J’écris pour solder la nostalgie. »  (p13)

 

Le théâtre des humains pourra se montrer en creux et être saisi

sur le motif ( avec des coups de griffe bien acérés, des souvenirs jusqu’à la taille, des adresses-salutations à Trouville sur mer, à Kafka, au chant de cadaquès…), Michel Monnereau ramène sans cesse au flot qui obsède, donnant d’un salut de chapeau aux « passagers du temps ».

 

« Je passe après vous et ne sais qui passera,
mêlant son souffle aux souffles emportés » .

 

Les poèmes de Michel Monnereau partent ainsi en quête de leur centre de gravité, jusqu’au point extrême du cœur :

«  Dans cinq milliards d’années, le soleil va disparaître, les grands cimetières s’éteindre avec les voix du monde et l’enfant se demande s’il faut du pain pour ce soir ».

Vertige garanti, en somme, pour peu qu’on se dessille les yeux (et même avec une rasade d’espérance à servir). Écrire serait ici, l’âge de la « maturité » venant, affaire de tenir en équilibre. Pour, continuer de chuchoter à ceux que nous aimons :

« Nous leur disons notre pensée nue,
nous prenons langue avec l’ange.
Dans ces rêves-là,
nous sommes heureux ». (p83)

 

et à Catherine, dans un bel aveu qui parcourt les années, on pourra lire encore, au milieu de la si attachante suite de poèmes de la cinquième partie:

 

« J’aime ta façon de repousser les tragédies minuscules du jour
et d’aller mains ouvertes vers l’avenir ».

 

Toujours cette pudeur, chevillée au regard.
Ces arrondissements de l’écriture qu’il s’agit de dessiner.
Ce côté-ci de la vie qui est « sans querelle ».

Je suis passé parmi vous est la trace sûre, accomplie d’un chevalier-poète de la Table ronde d’aujourd’hui.  Et nous,

grâce à l’amitié de tous ces poèmes, qui courent déjà au-delà de l’angle mort, savons pour notre joie commune que Je suis passé parmi vous, tel le mistigri des mots, repassera par là.