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Jean-Claude Pirotte et Didier Cros, les livres bilingues pour la jeunesse : Maya Angelou, Carson McCullers

Des recueils de poèmes bilingues pour initier intelligemment les bouts de chou à l’anglais ! C’est quoi l’intelligence? L’enseignante répond : ici, c’est une manière vivante et stimulante de réfléchir sur les langues du monde. Pas moins de deux premières autrices américaines y participent par leurs poèmes inédits. Leur point commun est la révolte l’une plutôt contre l’injustice, l’autre plutôt contre les a priori, mais toutes deux veulent un monde autre exempt de racisme ou de sexisme.

Maya Angelou

 

Maya Angelou écrit que « la vie ne me fait pas peur du tout ». Rien n’effraie cette afro-américaine qui connut ou fut victime de tant de discriminations : ni l’aboiement des dogues, ni les dragons de l’édredon, ni les mini-machos de l’école qui tirent ses cheveux… Pourquoi ? « I have got a magic charm/ that I keep up my sleeves/ I can walk the ocean floor/ and never have to breathe ».  Il lui suffit ainsi de s’évader par le rêve et l’imagination. En fin d’ouvrage, une bio de la poétesse rappelle sa lutte pour l’égalité des droits entre Noirs et Blancs auprès de Malcolm X, puis de Martin Luther King. Une façon d’inciter les enfants à lutter contre la ségrégation raciale.

Maya Angelou, Life doesn’t frighten me, La vie ne me fait pas peur,
illustration Géraldine Alibeu, traduction de Santiago Artozqui,
Seghers jeunesse bilingue, 15, 50€

Carson McCullers, Sweet as a pickle and clean as a pig/ Doux comme un cornichon
et propre comme un cochon
, illustrations de Rolf Gérard, traduction de Jacques
Demarcq, Seghers jeunesse bilingue, 15, 50€

Carson McCullers 

 

Carson McCullers au cœur festif dansera avec celui qui sera « doux comme un cornichon et propre comme un cochon » ! Si le pickle (cornichon) ne rime aucunement avec pig (cochon), le traducteur fait une prestation remarquée en créant des rimes. J.Demarcq impose un art de l’interprétation parfois simple (country jam devient « jambon de l’Ohio » ), parfois inventif (Kroochey et ses dérives sonores kazoochey, kaloochie, kazeen devient « Abracadabra, brocadabro, brocadabrou, cadabri ») and so on... Cette traduction juste (maintenir l’aspect délire des écrits) insère une part d’inventivité (trouver une équivalence de langue à des propos parfois imprévus : le « d » silencieux de Wednesday…). Elle enrichit l’ouvrage qui, outre une leçon d’anglais, propose subrepticement une leçon… de traduction. Façon discrète de saisir ce qu’est la communication entre des êtres parlant des langues différentes. 

 

De tels jeux de mots empreints d’une subtile adaptabilité traductive expliquent pourquoi J. Demarcq a obtenu le prix Nelly Sachs pour la traduction poétique de Tennessee Williams. Une biographie finale rappelle que Carson McCullers est une poétesse sensible aux « êtres inadaptés en quête d’amour et de bonheur ». Nul doute, le jeune lecteur - futur bilingue - sera « à la fête », at the fair.

 

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Jean-Claude Pirotte, Il y a 

 

« Il y a » affirme le titre de cet ouvrage qu’on aimerait conjuguer à tous les temps passés et à venir. Il y avait. Il y aura. Comme si le temps présent d’un poète défunt, Jean-Claude Pirotte, échappait justement au temps. Comme si le poète s’inscrivait hors du temps. Ce désarroi de lecture dans le temps émerge de l’emploi du futur antérieur de l'ultime poème : « j’aurai franchi les paysages/ comme un oiseau dans ses voyages/ j’aurai connu la terre entière/ et j’aurai vu toutes les mers ». Sylvie Doizelet, compagne de cœur et d’esprit du poète, a rassemblé ici tout ce qui faisait de Pirotte précisément « Pirotte », c'est-à-dire 33 quatrains d’un « enfant contrarié » qui n’aimait pas « les câlins ». Laissons les souvenirs dits d’école, attardons-nous aujourd’hui sur ce qui les transcende en leur donnant sens. Tout d’abord la rencontre avec l’animal ou le prétendu sauvage : l’ourse qui vient parler au poète, la tortue prudente qui se déplace « dans les laitues », la coccinelle à la « robe pailletée de ciel », le moucheron qui voit « plus loin que les prophètes », les indiens Sioux enfin.

 

Jean-Claude Pirotte et Didier Cros, Il y a, Editions
Motus, Collection Pommes Pirates Papillons, 2016

A terme, il y a ce monde autre que secrète le pensée de Pirotte : un monde où « il n’y aura plus de saison/ chacune aura perdu sa chanson/ il neige et puis l’orage tonne/ le printemps vient pendant l’automne ». C’est pourquoi ancré dans un tel monde si fusionnel la lectrice - moi - cesse de lire, biffe la dictature de la chronologie (publié en 2014) pour écrire la présente notule, caresse le papier au grammage sensuel. Elle consulte les « images » de Didier Cros((Pirotte réfléchissait depuis plusieurs années sur le travail troublant de ce peintre.))qui sont les échos amis des quatrains, des peintures à mi-chemin entre le réel et le mystique. Et la lectrice se dit que ce poète au cœur rebelle a aimé et a été aimé.