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Jean-François Mathé, Vu, vécu, approuvé

Vu, vécu, approuvé
Dix poèmes inédits

 

 

 

Un petit nuage est arrêté en plein ciel

comme ce qu’il reste d’un cri dans la gorge.

A peine commencée la saison ne sait plus où aller

et me laisse incertain dans son incertitude.

Mais l’essentiel a peut-être été dit,

crié avant que le temps n’ouvre ses autres portes

à des ciels de plus en plus transparents

d’où tomberont des ailes fatiguées.

 

 

 

Ce furent des jours,

encore des jours,

et des nuits peut-être

mais vécues entre des parenthèses

légères comme des rideaux

qui s’écartent avant d’avoir rien retenu.

Il s’habitua à vivre sans rêves,

presque sans sommeils

dans le poing toujours serré sur lui de la lumière.

S’il allumait une cigarette,

il n’en regardait que la fumée légère

où sa vie oubliait un instant

qu’elle devenait une pierre.

 

 

 

Une feuille, morte avant nous,

flotte d’un bord à l’autre du vent.

Nous lui envions sa légèreté

que notre vie ne nous accorde pas,

même si nos jours, nos nuits

sont des feuilles, mais, elles,

alourdies de pluie

et qui tombent de l’arbre au sol

tout droit comme s’il

n’y avait pas de vent

pour les aimer.

 

 

 

Je regardais le feu

vivre du bois qu’il faisait mourir

et la neige tombait sans amasser

du silence sur le toit,

comme si rien ne pouvait poser

la paix sur le monde.

Un murmure aurait déchiré la voix,

mais se taire

ne faisait pas taire la mémoire

acharnée à creuser son chemin

vers le souvenir des morts

qui n’étaient morts qu’après la souffrance,

comme le bois dans le feu.

 

 

 

Et vint l’été qui m’arracha

les ombres dont je faisais mes poèmes.

L’été violent.

En bas moins d’herbe que de pierres,

en haut un ciel que le bleu ne calmait pas.

Où que j’aille,

je trouvais la lumière

sans porte à ouvrir sur de l’inconnu.

Elle avait effacé tous les rêves

avant qu’on les rêve.

 

 

 

J’ai demandé à l’horizon

qu’il libère les chevaux

qui étaient allés mourir au-delà de lui.

Qu’ils reviennent où je les attends,

avec ce galop de silence

qui est désormais le leur

et ne réveille pas les pierres.

Il y a ici la nuit et l’herbe des rêves

dans un pré où j’irai les caresser

comme quand j’étais enfant,

comme s’ils étaient vivants.

Ils ouvriront vers moi leurs yeux aveugles

qui ne voient que les souvenirs.

 

 

 

Quand tu t’en vas derrière tes yeux,

ce n’est ni pour dormir ni pour oublier.

C’est pour t’égarer dans la nuit où

l’on ne trouve ce qu’on cherche qu’en s’égarant.

Les chemins de l’ombre sont plus nombreux

que ceux du jour, et eux tu les as parcourus

sans jamais rencontrer personne

capable de t’offrir des mots

auxquels tu aurais aimé répondre.

L’ombre, elle, aime que ton silence

réponde au sien.

 

 

 

J’aime regarder

le vent qui ne se voit pas,

j’aime poser les pierres

sur la peau de l’eau

pour qu’elles y disparaissent,

j’aime feuilleter les pages

dont la blancheur en dit plus

que les mots qui y sont écrits,

j’aime que le vide, en tout, tienne

la porte ouverte à qui ne veut que partir.

 

 

 

Faire à pied

le tour de l’instant heureux

pour qu’il dure,

et me laisse le temps

de poser mes mains

si loin de moi

que l’angoisse jamais

ne pourra plus les serrer

sur ma gorge et

les mots qui voudraient crier.

 

 

 

J’aimerais que quelqu’un m’attende

comme un poème lu

sur la page

encore blanche