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Jean Maison, Araire

Avec Araire, Jean Maison nous offre l'une de ses plus belles et de ses plus importantes paroles poétiques. Parole poursuivant l'exploration en même temps que la fondation d'une demeure dont les deux précédents recueils, Consolamentum et Terrasses stoïques, furent publiés chez feux les éditions Farrago/Léo Scheer. L'excellent Rougerie, éditeur d'une pléiade d'éminents poètes contemporains doit être ici remercié pour son travail aux marges d'un monde littéraire tenu par les exigences d'une rentabilité terrorisante. Ainsi, 400 exemplaires d'Araire ont été tirés, 400 objets livre, 400 personnes seulement gagnées par la chance d'en posséder un exemplaire dans sa bibliothèque, à l'heure de la littérature de masse. Un miracle.

Araire, mot étranger à l'économie du langage contemporain, qualifie un instrument de labour, un outil fruste à dimension de main d'homme et de licol bovin servant à scarifier la terre pour l'y préparer à l'accueil des semailles. La demeure poétique de Jean Maison charrie donc la terre qui est le propre de l'homme, la terre du Verbe, terre natale et nourricière qui demande soins, attention, jachère, culture en vue des possibles récoltes. Et chez Jean Maison, il ne peut y avoir récolte sans effort, sans amour, sans une profonde connaissance des rythmes internes et souterrains de cette terre en dehors de laquelle il n'est nulle nourriture possible, au risque de mourir de faim.

Araire, c'est ainsi un cycle de saisons lancées à la vie, une terre d'encre, un sentier de nuit ou l'instrument qui scarifie le Verbe est seul guidé par l'espérance tellurique des sources appelées à sourdre pour étancher la soif. La soif d'être au monde quand l'insensé contemporain délie l'homme et la vie, délie le verbe et le cœur de nos existences.

Cette parole, faite de la plus extrême attention aux paradoxes séminaux d'une vie intérieure en volonté, non pas de pleine conscience d'elle-même, mais de respiration sereine, charrie dans le sillage creusé par son araire des correspondances entre la langue et la terre, entre racines terreuses et bulbes étymologiques, tout simplement car il en est ainsi de l'être de l'homme. La parole de Jean Maison contient le suc des ferments souterrains permettant à la voix de percer la carapace des champs nocturnes afin de s'élever, verticale défiant la pesanteur, vers la lumière ou elle devient chant.

Pas de confusion : Maison est le continuateur de Char, de Grosjean, de Reverdy. Il a connu les deux premiers,  qui étaient ses amis intimes. Il est, par sa poésie, un acteur fondamental de notre époque. Il dit et disant, il recentre l'homme sur son essence originelle, matérielle et spirituelle. La poésie, à ce degré de virtuosité, devient un sésame pour nos vies nocturnes, y faisant apparaître, étincelant, l'or silencieux de nos constellations.