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Jean Mambrino (1923–2012). Me voici : hommage

Avons-nous encore la force et le désir de répondre me voici à l’appel de la célébration ? C’est ainsi que se concluait le poème Apocalypse du recueil Casser les soleils (Corti, 1993). J’avais reçu ce livre aux poèmes sombres avec cette dédicace : Cher ami, voici mon inferno (il fallait y descendre)…

Les leçons d’agonie que le Christ, dans notre exil, ne cesse de nous révéler traversent les poèmes de ce jésuite et poète, traducteur notamment d’Hopkins, et pourtant, il était bien un des seuls, depuis les années 60, à faire du moindre fragment de l’univers un éveil au sens et aux sensations.

Car l’amour accroit la perception. Et rares sont les poètes qui, d’un recueil à l’autre, nous surprennent en affinant leur approche du monde, en s’ouvrant aux timbres des voix qui nous appellent. Lisant Mambrino, j’ai toujours été surpris par ses changements de registres, de prosodies, par ses écarts et ses paradoxes, par cette immense liberté remuant le fond sensuel du réel. Comme chez Claudel, quelque chose dans cette oeuvre brave la tempête, lève les yeux vers ce qui est désormais interdit. L’écriture écoute, prend feu, prend le large, navigue, dans un lyrisme sans platitude, vers l’infini brûlant d’un dialogue en attente d’une présence.

Chaque poème alors énumère, consent, dilate les limites de l’instant. Il y a toujours ce bonheur à être, à renaître : Je bénis le bref soupir dans les feuillages remplissant ma poitrine en cette minute éternisée qui danse.

Ses articles dans la revue Etudes ont été des exercices d’admiration, des paroles dans l’estime. Ils ont dévoilé une opposition farouche au nihilisme qui a pour soubassement cette pulsion de mort conduisant, dans le domaine littéraire, à la négation du sens, au langage sans objet. Au parti pris négativiste, Mambrino a proposé une autre démarche capable d’intégrer l’extrême mal : Les morts couvrent le sol de leurs sacs de peau plein de vers. Sur les murs du néant pendent vos drapeaux noirs. Et l’extrême bien : Sur la table du monde un soleil de gala.

L’âme et la chair, la souffrance, la vigueur, la merveille, l’amour… tout ensemble, tout est là – proche, admirable de proximité – et la répétition ne vient pas d’une absence de vie mais de son excès. Le poème, comme l’icône, opère par distance. Le retrait de Dieu renforce son attrait et du Dieu sans visage, de son regard invisible, s’impose un éloignement qui lui-même impose un chemin : Quand donc comprendras-tu l’amour de cette absence ?

Osant une totalité, Le palimpseste ou les dialogues du désir (Corti, 1991) mêle, sur 300 pages, deux voix qui s’écoutent et se répondent, s’affirment et se dérobent, jouent avec le désir d’infini et d’enfermement, soliloquent, se souviennent, s’affranchissent. Un chœur de voix dont chacune conserve son infini en acte, sa heccéité (Duns Scot). Voilà le chant de l’amour et du don, du partage et de la démesure et du chemin à venir : Le plus intime en toi, c’est l’horizon.

Le désir fait signe, efface les premières écritures, se recompose, croit atteindre le lieu (mais la présence se dérobe), s’affronte aux notions d’enracinement, de demeure : On voit toujours loin dans l’oubli de l’origine. C’est le désir qui dévoile les teintes, les variantes, les odeurs, les reflets, les échos et qui fait naître des parcours inconnus. Une profusion de lumière et de splendeur porte l’écriture de Jean Mambrino ; un accueil permanent, un amen illimité, car rien n’est plus beau que la promesse de l’impossible