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Joanna Pollakówna, Avare clarté

La neige s'égare.
Les tempêtes perdues
fendent l'air pour recouvrir des royaumes en déroute.

Florilège inspiré dans ses choix, ce livre offre un parcours cohérent dans une œuvre de douze recueils entre 1957 et 2000. Une première traduction en français, très agréable à lire.

Poésie où semblent poindre l'atmosphère et les grands bouleversements que la Pologne connut au cours d'un demi siècle :

En regardant

    (Sur les linogravures de Józef Gielniak)

 

Innervation de la ville qui entre en terre
une branche d'air dans un mur
des murs doux qui s'effritent
en anodines astéries camomilles
alors le pré les boit
et monte à l'horizon
en constellation de fragments
en soupir de ruines
 

Innervation de cellules cancéreuses
orgueilleuse vie
ville bouffie
du ciel couvert de lenticules pendent les épaves
de sphères célestes rongées de rouille
 

tombe une pluie de camomilles au goût de fer.
 

Une espèce de grisaille qui rappelle, -mais peut-être ne la lirait-on pas ainsi si l'on ignorait la nationalité de l'auteur-, qui rappelle la monotonie des façades du régime communiste. Mais l'enjeu n'est pas directement politique : concaténation d'impressions, de bouts de vie, ou bien une lente décantation inspirée des crayons de Gielnak où la figure se perd dans le brouillard traversé de formes confuses, à moins qu'elle n'en naisse.

La contemplation des vieilles photos est l'occasion d'une lutte de chaque instant pour franchir la muraille d'un langage fataliste (quelque peu Rilkéen) et en apparence sage : Les si charmants visages / de ces jeunes femmes / s'éloignent sans retour dans la brume: (...) Et le sourire ? / Et la question muette ? (…) Et le badinage ? Et l'étrange beauté ?

C'est un parcours intérieur qui se dessina dès les premiers textes, disant la difficile naissance d'une identité, dans une ville qui vous réduit à l'état d'insectes et massacre les oiseaux :

(…)Comme moi qui habite mes noms en étrangère,
leur for intérieur se tait, leur forme se désagrège ;
pourrai-je remonter du fond avec cette couleur-ci,
ce parfum-là,
cette seconde qui s'étonne ?(...)
 

Est-ce le chemin vers la démocratie qui a fait lever le brouillard ? Ou tout simplement la maturité ? Grisaille et confusion font place à un couchant pourpre sur les eaux, à des oiseaux et bourrasques qui fendront les branches / et dans leur élan feront rimer / mon rien avec l'air. Plus intimement ceci est hanté par le poids des années, la séparation, l'éloignement de soi, le surgissement de questions sans réponse qui accompagnent la vieillesse et la mort. Mais de recueil en recueil, à côté des pointes tragiques, scintillent des joies enfin dicibles en toute simplicité, comme cette phrase de Mozart dansée devant Orsay / par un gars rondouillard avec des grâces / de ballerine (…) Délicates affaires / qui se jouent à la frontière ténue / du regard et de l'air.(...) ou comme les couleurs et les lignes nettes de la Pietà de Bellini, en 2002, qui clôt cet ouvrage :

Les rouges murs de Vicence
fièrement se dressent
devant les monts en parade
étagés dans une écume bleue

(…)

Dans le silence d'après le supplice
le soleil se lève de la brillante rosée.
 

À nouveau la douleur empressée
s'unit à l'implacable beauté.

 

Recours au Poème a publié des extraits et une présentation de ce livre par sa traductrice Alice-Catherine Carls ici