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Journal d’une guerre, de Mérédith Le Dez

Journal d’une guerre est le troisième livre de l’auteure publié aux éditions Folle Avoine. On est impressionné, avant même de l’ouvrir, par la beauté de l’objet : la couleur de la couverture, le papier… L’éditeur utilise encore la typographie au plomb, ce qui est devenu plutôt rare.

Mérédith Le Dez vient de mettre un terme à l’aventure MLD (la belle maison qu’elle a fait naître et dont il a été question dans ce magazine, à l’occasion de la parution du recueil de Dominique Sorrente notamment, C’est bien ici la terre, en 2012), mais elle n’en a pas fini avec la poésie, fort heureusement.

Dans ce Journal d’une guerre, tout est guerre, jusqu’à la jonquille qui poignarde l’hiver. Mais la guerre est surtout intérieure. On pense évidemment à La Guerre Sainte de René Daumal. Et pas seulement à La Guerre Sainte. Aux lettres qu’il a écrites aussi. Celle datée de mi-octobre 1932, adressée à André Rolland de Renéville par exemple : « Ce n’est pas le cœur qui est trop jeune, c’est la tête qui est trop vieille. Si nous étions du même âge, dans mon bateau, si nous étions tous des sauvages, dans ma carcasse, les beaux miracles que je ferais ! » Les hommes dont nous parle Mérédith Le Dez sont ses propres pensées, ses doutes, sa volonté de croire encore, d’avoir confiance en ce qui vient. Certes, en apparence, ce n’est pas l’auteure qui s’adresse à nous :

 

Je ne suis toujours pas mort aujourd’hui

 

C’est un homme qui, à la tête de ses troupes, ne se souvient plus de la raison du conflit ; mais c’est elle néanmoins, elle aussi. Lui nous raconte la boue, les blessures, les amputations ; elle évoque ce qui se joue au plus profond de son être.

 

il y a dans mon crâne
des officiers ivres et blêmes
des sergents affamés
et la cavalerie des fantômes
qui se cherchent une épaisseur
une laine même mitée
à mettre sur l’épaule des nuits

 

La mort des soldats renvoie à notre vide intérieur, à la nuit et au désert intérieurs, à notre sentiment d’être anéanti ; les tranchées et les baïonnettes, à la guerre qui se joue en nous et à cet ennemi que nous sommes, qui nous empêche d’avancer.

René Daumal aussi, dans La Guerre Sainte, parle de la « multitude des ennemis » qu’il héberge au plus profond de lui : « Il y a des traîtres dans la maison, mais ils ont des mines d’amis ».

D’autres ponts peuvent être jetés entre les deux poètes. Quand Mérédith Le Dez écrit 

 

et puis tout à coup
arrêtés au bord du monde
frappés de stupeur
ils furent
mes soldats
mes doux soldats bruns
mes brutes rompues
à tous les crimes
penchés sur le spectacle
de l’horreur
et avec eux je tremblais
nous étions
face au miroir

 

nous ne pouvons nous empêcher de penser que la métaphore du miroir est présente aussi dans le texte de Daumal : « […] il faut être soi-même, et aimer se voir, tel qu’on est. Il faut avoir brisé les miroirs menteurs […]. Et cela, c’est le but et la fin de la guerre, et la guerre est à peine commencée, il y a encore des masques à arracher. »

Cependant dans Journal d’une guerre, l’horreur à l’extérieur, reflet de ce qui se joue au plus profond de nous, occupe une place centrale. Le poème de René Daumal a été écrit au printemps 1940, alors que la guerre faisait rage, mais René Daumal tourne le dos à cette guerre, pour se concentrer sur son intériorité. Les yeux de Mérédith Le Dez, eux, vont et viennent de l’un à l’autre. En cela, les deux poèmes sont très différents. On pourrait être tenté d’ajouter que, contrairement à René Daumal, Mérédith Le Dez n’entend pas les bombes siffler au-dessus de sa tête. L’époque est certes bien différente. En apparence tout du moins. La guerre fait rage encore. La liste des pays en guerre est longue sur plusieurs continents. Et certaines de nos usines sont encore des usines d’armement. Mérédith Le Dez parle de ces conflits qui naissent ici et là, font le tour du monde inlassablement.