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La chemise de Pétrarque de Mathieu Bénézet

À quoi sert une quatrième de couverture ? La parution récente, chez Obsidiane, de La Chemise de Pétrarque de Mathieu Bénézet est l'occasion (une nouvelle fois ?) de s'interroger avec ce poème qui continue le recueil sur cette quatrième de couverture. Le lecteur curieux qui découvre Mathieu Bénézet dans une librairie et qui feuillette le livre n'y découvrira aucune aide. Alors que sur le site de l'éditeur on peut lire cette présentation éclairante : «La Chemise de Pétrarque est un polyptyque où se mêlent plusieurs niveaux d'écriture prosodique. Placé sous le signe de Pétrarque ("Perfectionnant l'ordre et la rupture des images car il cherchait uniquement à éloigner / toutes les afflictions…"), ce nouveau recueil de Bénézet montre l'étendue des registres de son art poétique - lequel se singularise par une recherche formelle constante qui puise toujours aux sources historiques (sonnets, élégies…) de la poésie dont il veut revivifier les acquis en les «actualisant» de sa main ! "Langue de l'amour" qui est l'amour de la langue, ainsi qu'il le déclare aux premières pages de ce livre». Ces lignes auraient pu figurer utilement sur la couverture. Mais sans doute l'auteur (?) en a-t-il décidé autrement…

 

    Polyptyque ? Sans doute la construction du recueil avec ses suites très différentes quant à la forme donne-t-elle cette impression qui correspond à la réalité de l'écriture même si le ton, dans l'ensemble, reste d'un lyrisme très singulier. Un lyrisme brisé par les particularités de l'écriture de Bénézet : un mot incongru ou prosaïque dans le vers, un chiffre, un signe de ponctuation inattendu ou placé en dépit des règles typographiques usuelles (la virgule en début de vers par exemple) viennent casser ou contrarier le chant. Peut-être tout cela est-il condensé, plus visible dans Ent'racte où se mêlent prose et vers, absence et présence de la ponctuation, termes ordinaires empruntés à des registres de langue non poétique, références à l'histoire ou à la peinture… Tout concourt à proposer un langage poétique nouveau, inouï. L'impression de montage, de collage se fait forte mais l'ensemble trouve sa cohérence, son unité dans la tonalité. Et ce n'est pas un hasard si Bénézet fait allusion à maintes reprises à la voix… Le risque alors assumé par Mathieu Bénézet est la dérobade incessante du sens (nous avons tous souvenir de ces poèmes abscons ou de ces discours théoriques qui obscurcissaient l'objet qu'ils prétendaient éclairer). Mais il faut bien reconnaître l'originalité et la sincérité de la voix qui traverse les pages de La Chemise de Pétrarque.

    Il faut enfin signaler les dates par lesquelles s'achève le recueil : 1976-2012, sans que l'on sache si elles s'appliquent exclusivement au dernier poème, Coda, ou à l'ensemble du livre. La période couvre quasiment la vie d'écriture de Bénézet (si l'on oublie que son premier livre de poésie date de 1968). On a donc le sentiment, maintenant que Mathieu Bénézet vient de mourir des suites d'un cancer (il prévoyait donc sa fin…), que La Chemise de Pétrarque constitue une sorte de testament. Mais ce n'est qu'une hypothèse qui reste à vérifier : une approche génétique de ce texte que forme l'ensemble, aussi difficile soit-elle, est nécessaire… Plus modestement ici, il ne s'agit que d'une  impression de lecture, avec tous les risques d'erreur que cela comporte.