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La langue des signes de Gérard Bayo

     La poésie ne serait-elle pas, avant tout, une langue des signes ? Gérard Bayo (77 ans) nous invite à le penser dans ce recueil qu’il publie aujourd’hui et où ses poèmes, économes de mots, sont autant d’« annonces », de « marques », d’« indices » de « signes » sur ce qu’il advint à l’homme dans les grandes tragédies du 20e siècle.

Cette langue des signes, qu’il explore avec justesse, renvoie aussi au langage codé des sourds-muets qu’il évoque à la page 10 de son recueil. S’adressant à Edith Stein, née à Breslau et décédée à Auschwitz en 1942, il écrit : « Souviens-toi/des sourds-muets de Breslau, du langage/des signes ». Car ce livre est, avant tout, placé sous le signe de la mémoire. Mémoire des lieux. Mémoire des hommes et des femmes broyés par l’histoire. Les références au destin juif sont notamment explicites : avec la figure d’Edith Stein, bien sûr, mais aussi celle d’Etty Hillesum (morte, elle aussi, à Auschwitz en 1943).

Dans ce recueil rôde aussi l’ombre de poètes au destin tragique. C’est le cas de Paul Celan, dans une évocation de sa ville natale de Tchernivtsi en Ukraine. Du poète hongrois Janos Pilinzki, prisonnier de guerre au camp de Ravensbruck. Et aussi de la poétesse russe Anna Akhmatova. « Où sont-ils tous passés » ? interroge Gérard Bayo dans un poème évoquant le camp d’extermination de Madjanek dans la ville polonaise de Lublin. « Le ciel aussi/est ouvert et vide/les mots ne veulent/ ou ne voudront bientôt rien dire ».

A propos d’un livre de Gérard Bayo écrit il y a trente ans (Déjà l’aube d’un été, aux éditions Saint-Germain-des-prés), Philippe Jaccottet parlait – dans un courrier à l’auteur – de sa « compassion sans pathétique » et de sa « familiarité sans morbidité avec la mort ». Nous retrouvons cette inspiration dans La langue des signes. « Se peut-il qu’elle n’attende rien pour elle/dans le fossé la violette à la nuque/brisée », écrit le poète. « A quoi voit-on/qu’on est mort ?(…) Les gars, à quoi voit-on/qu’on est vivant ? »

 Les derniers poèmes du recueil esquissent une ouverture. Sur les décombres d’un siècle sanglant, il importe de renaître. « Seule est vraie/ta résurrection (…) Sans croire en Dieu/ni même au Christ, combien nous manque/de ne pouvoir mourir/les uns pour les autres ».