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La nuit spirituelle de Lydie Dattas

La nuit spirituelle est un texte singulier. Sans doute parce qu’il a été écrit comme on jette un gant après un outrage. Le poème est précédé d’un texte de Lydie Dattas qui nous éclaire sur son origine. Jean Genet – son voisin – l’avait bannie : « Je ne veux plus la voir, elle me contredit tout le temps. D’ailleurs Lydie est une femme et je déteste les femmes. » Cela a fait à la jeune femme – elle avait alors vingt-huit ans – l’effet d’une gifle : « Je décidai d’écrire un poème si beau qu’il l’obligerait à revenir vers moi. » Cette réaction, digne d’un personnage de Barbey d’Aurevilly, donne au texte écrit en 1977 la patine du XIXème siècle finissant.

Que je vienne à les proférer, les mots de soleil et de rose eux-mêmes s’assombriront, et je ne pourrai pas prononcer une parole sans que sur elle se couche l’ombre de la malédiction.

Être femme, affirme Lydie Dattas, c’est être condamnée à la nuit, se voir interdire l’accès à la beauté comme à l’esprit.

N’ayant pas droit à la lumière je me noircirai davantage, je détournerai sur moi les ténèbres, afin, mon âme ayant bu toute l’ombre, que la beauté en soit lavée et qu’elle resplendisse davantage : je sais que ses marbres seront plus éclatants, ses jardins plus parfumés si je demeure loin d’elle […].

La jeune femme va au bout du sous-entendu de Genet, et même bien au-delà, elle noircit le trait en prétendant que les femmes sont des créatures faites pour l’obscurité, condamnées à errer dans l’ombre… « Tout se passe comme si, en tant que femme, l’auteure s’habillait de l’anathème de Genet comme d’une peau profonde pour se dénigrer, s’anéantir » écrit très justement Antoine BOULAD, dans L’Orient Littéraire.

Jean Genet, après avoir lu le texte, écrit une lettre à l’auteure dans laquelle il compare ce qu’il vient de lire à ce qu’il « aime le mieux, Baudelaire, Nerval. » Et il conclut : « J’ai pris une gifle. »

Lydie Dattas sort donc victorieuse du duel.

Pierre Assouline dit d’elle qu’elle a « le malheur radieux » (dans un article écrit à la sortie de son livre intitulé La foudre, en 2011). L’expression de Pierre Assouline va très bien aussi à la jeune femme qui écrit à l’attention de Genet. Quand ce dernier la congédie en tenant des propos bassement misogynes, elle répond à la médiocre petite formule en écrivant un texte profond. Il y est question de la lutte qui oppose les ténèbres d’un côté, la lumière, la beauté et l’esprit de l’autre, mais aussi de la coïncidence des opposés. Si je chante, c’est d’une voix sombrée écrit Lydie Dattas. Et dans son livre, la tristesse engendre un rayonnement, les ténèbres brillent.

La nuit spirituelle n’a pas été éditée en 1977 mais des années plus tard, en 1985, dans la Nouvelle Revue française, de manière incomplète, puis aux éditions Arfuyen, en 1994. Il est vrai que le texte, à l’origine, n’avait pas été écrit pour être rendu public.

Lydie Dattas a écrit bien plus tard un livre sur Jean Genet, La chaste vie de Jean Genet (2006). Elle y fait le portrait de l’homme non loin duquel elle a vécu plusieurs années. Le public ne connaissait pas ce Genet-là, l’auteur vieillissant.