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LA POÉSIE ENDOCRINIENNE

 

année 1934
après la mort de sa protectrice
qui pendant 40 ans
a soutenu son travail d’écrivain
et son engagement politique,
vieux et seul, le prix Nobel W.B. Yeats
commençait à souffrir d’une tension élevée
et d’un cœur affaibli, au point presque
de mettre en question son élan créatif :

mais Yeats, ce mystique
qui voyait avec suspicion
tout aspect impersonnel de la science
a entendu parler quelque part de la dernière
cure de jouvence et à l’opprobre de ses amis
a déniché à Londres, à Harley Street,
un sexologue australien
qui au printemps de la même année
réalisa sur lui l’opération Steinach
(sorte de vasectomie, testée à Vienne,
qui devait lui faire retrouver ses pulsions affaiblies).

l’opération a réussi, selon toute vraisemblance,
car William confiait, non sans fierté,
dans les lettres à ses amis
que son désir sexuel était revenu
et qu’il était tombé amoureux de la jeune et talentueuse
poétesse Margot Ruddock
qui n’avait alors que 27 ans
contre les 69 de son âge mûr.

les Dublinois cyniques l’ont immédiatement
surnommé vieux glandomat.
néanmoins, W.B. s’est remis à écrire
des poèmes et c’est ce qui comptait.
un de ces nouveaux poèmes
qui porte le titre Pulsion
(ou Eperon)
dit:

Tu crois qu’il est terrible dans la vieillesse
de s’adonner à la furie et la luxure
alors qu’elles n’asservirent guère ma jeunesse
et seuls maintenant à faire des poèmes m’inspirent.

William bientôt éditait aussi
le Oxford Book of Modern Verse
et commença à œuvrer à la nouvelle édition de sa Poésie complète
avec tant d’énergie, comme s’il avait signé
— disent les témoins – un nouveau bail avec la vie !
il n’est mort que cinq ans plus tard
d’une crise cardiaque
of all places
sur la Côte d’Azur.

 

 

–  traduit du croate par Suzanna Matvejević