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La proie des yeux de Joël-Claude Meffre

La Proie des yeux de Joël-Claude Meffre (textes) et d'Élizabeth Prouvost (photographies) est un objet littéraire difficilement identifiable. Les deux ensembles sont forts et autonomes et leur dialogue ne se laisse pas cerner d'emblée, tant ils résistent et semblent exister dans une individualité irréductible. Mais en même  temps, leur voisinage dans ce livre ne laisse pas d'interroger car leur thématique donne naissance à un étrange jeu de miroirs ou à une non moins étrange chambre d'échos.

Même les textes ont leur part de mystère. Il faut se souvenir que Joël-Claude Meffre est à la fois poète et archéologue de formation alors qu'il a également étudié la littérature et la philologie. La quatrième de couverture offre un texte intéressant qui situe bien le présent travail de Meffre : "Par chez nous certains grands tombeaux des Anciens avaient de hauts masques de pierre qui les couronnaient…" Le mystère demeure. Que désigne précisément cette expression par chez nous ? La Provence ou le Comtat-Venaissin où vit Joël-Claude Meffre ? De quels monuments s'agit-il exactement ? Qui sont ces Anciens ? Si le texte n'apporte pas de réponse, les indices ne manquent pas pour ouvrir des perspectives de lecture : Perséphone (la déesse grecque des Enfers), Phersu (le démon étrusque de l'enfer), Léthé (ici la personnification de l'oubli), une allusion à Néron (qui portait un masque à son image) ou Persée (et son masque d'invisibilité)… Antiquité gréco-romaine, mélange de croyances et de faits historiques… Joël-Claude Meffre médite très librement sur la mort telle que la voyait ces Anciens jusqu'à sculpter des masques sur leurs tombeaux. Masques, visages creusés d'yeux exorbités regardant l'indicible et d'une bouche ouverte sur un cri qui ne sort pas. La mort provoque l'effroi et nous ne voyons plus que cet effroi. Mais Joël-Claude Meffre mêle à la description et à la méditation le récit d'une exploration sans que le lecteur ne sache trop s'il s'agit d'un cortège funèbre qui accompagne le défunt dans son dernier voyage ou l'exploration d'archéologues découvrant un tombeau ou un palais… À moins qu'il ne s'agisse d'une métaphore des vivants puisque "Le couloir s'ouvre sur une lueur. Nous découvrons la berge d'un grand fleuve qui roule d'impétueuses eaux noires". Méditation sur la mort donc. Faut-il la représenter pour l'apprivoiser ? Pour l'accepter alors qu'elle est l'inacceptable ? Ces masques mis à mal, ces tombeaux détruits n'apportent pas de réponses : "Peut-être les visages de pierre changent-ils de forme mais pour l'instant, on ne voit rien advenir". L'homme demeure alors avec sa peur et ses interrogations. Mais reste ce scandale de la profanation des tombeaux effectués par ceux qui croyaient à un autre ciel, restent ces morts qui sont morts une deuxième fois…

Mais qu'est ce livre de Joël-Claude Meffre ? Un récit, un poème (au sens où l'entendait Aragon désignant Le Fou d'Elsa comme un poème) ou quoi d'autre ? Prose et vers se mêlent ; vers oui, mais parfois aussi  fragments de prose qui ressemblent à des vers. On ne sait, comme si les interrogations débouchaient sur cette ignorance de la forme. De même que les photographies d'Élizabeth Prouvost deviennent quasi abstraites face à ce qui ne se représente pas…