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La revue des belles lettres, 1 et 2, 2015

 

Marion Graf, que nous connaissons comme traductrice des œuvres de Robert Walser, dirige cette très belle revue qui est une institution. Il semble que, dans notre chère francophonie, ce sont les marches et autres périphéries qui savent concilier la longévité et la bonne santé.

En témoigne ce numéro consacré aux poètes de la caraïbe. Avec l’ambition, non de « s’ouvrir à l’exotisme et à l’étrangeté » mais « à une forme de connaissance partagée ». Qu’il est bon de partager ainsi ce spicilège qui commence par la géographie de Césaire :

Îles mauvais papier déchiré sur les eaux
Îles tronçons côte à côte fichée sur l’épée flambée du Soleil

… et s’achève par le Guyanais Élie Stephenson : J’écris ce poème pour vous / Qui portez le cœur de vos hommes / Et leurs pas et leurs blessures / Vers le pays que vous rêvez / Le soleil que vous inventez

Belle rencontre, beau partage, avec entre autres Frankétienne, Lionel Trouillot, Édouard Glissant et sa Déroute des souvenir. Une touchante lettre de Yacine à Glissant… C’est un choix réfléchi, au service des auteurs et d’une véritable universalité respectant les singularités. L’Haïtien Coutechève Lavoie Aupont donne une irrésistible lettre à son chien :

Une foule c’est du monde
Du monde c’est beaucoup
Et beaucoup ça transpire

Le lecteur gyrovague appréciera le CD qui accompagne la revue : écouter telle poésie incarnée en voiture quand on patiente sous les affiches et les brisevues est tout bonnement roboratif.

Ce numéro s’ouvre par un cahier poétique et iconographique du Malgache Marcel Miracle : L’haile de l’irondelle / Pardon / L’aile de l’hirondelle / Dépasse toujours du ciel // C’est une virgule d’encre / qui ne sèche jamais.

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Franck Venaille est l’invité du deuxième numéro. La « matière même du rêve », dont la sonorité inaugurale d’incertaine voyelle fait vaciller, « au petit jour il ne sait toujours pas quelle est son identité véritable ».

Je fus cet homme élégant
du moins le pensait-on. De braves personnes.
Et tout autour de nous, le mystère entier, ce don des oiseaux nés ici.

Des essais accompagnent ce long poème, celui d’Alain Madeleine-Perdrillat commençant par « Dans tous le livre (La Bataille des Éperons d’or) règne une sorte d’état de guerre général… », et celui de Pierre Voélin écrivant du batelier de l’Escaut : Une âme, ô combien harassée, mais survivante.

Après le « beau gris de fer » de Venaille, le cahier iconographique est consacré au « vermillon » de Claude Garache.

Il est à noter une très intéressante critique de Jean-François Billeter de l’Anthologie de la poésie chinoise parue en Pléiade. L’auteur offre de comparer pratiquement des traductions de ce livre et les siennes « en première approximation », lesquelles pour moins fidèles sont belles et piquantes à lire. En huit pages, une excellente leçon de passage de frontière, concrète et modeste.